Protection de l’enfance : l’APNQL plaide le droit à l’autodétermination


C’est la réponse fournie par le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, à une question sur ce qu’apportait de plus la loi fédérale C-92 comparée à la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec.

Le fond, c’est la différence entre une autonomie dans un cadre que tu ne contrôles pas, que tu ne décides pas et une autonomie dans un cadre que tu as toi-même structuré. Il y a une différence importante, a précisé Ghislain Picard.

Le chef de l’APNQL témoignait au deuxième jour des consultations sur le projet de loi 15, qui modifie la Loi sur la protection de la jeunesse (LPDJ).

Il a d’abord rappelé que sa présence n’était pas une première sur le sujet. Commission parlementaire après commission parlementaire, nous avons dénoncé ces situations et demandé à ce que des changements soient apportés à la loi provinciale.

Selon lui, la plupart des recommandations ont été ignorées. Raison, estime-t-il, pour laquelle le taux de placement des enfants autochtones est toujours élevé.

Au Québec, plus de 15 % des enfants de moins de 14 ans en famille d’accueil sont autochtones, alors qu’ils représentent moins de 3 % de cette population, selon les données de Statistique Canada issues du recensement de 2016.

La réponse est donc simple pour Ghislain Picard, le système ne fonctionne plus. Quel que soient les changements qu’on peut apporter, si on n’a pas l’intention d’adopter nos recommandations avec sérieux, ça va continuer d’échouer pour nos enfants. Quel que soit le parti au pouvoir.

Questionné aussi sur la différence entre C-92 et la loi québécoise, les représentants de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador ont fait des précisions.

La loi fédérale affirme la compétence des Premières Nations en matière de services à l’enfance et la famille, a ajouté la conseillère juridique de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Leila Ben Messaoud Ouellet.

Grâce à l’article 37.5 de la loi provinciale, une communauté ou une nation autochtone peut conclure avec Québec une entente établissant un régime particulier de protection de la jeunesse. Mais ces ententes ne sont qu’une autre forme de délégations, a soutenu Leila Ben Messaoud Ouellet.

La loi de la protection de la jeunesse [du Québec] est une loi coloniale imposée par le gouvernement et le pouvoir reste dans les mains du protecteur de la jeunesse, a poursuivi le gestionnaire des services sociaux de la CSSSPNQL, Richard Gray.

De plus, contrairement à la loi fédérale, les ententes conclues avec Québec peuvent s’échelonner sur plusieurs années avant de se concrétiser, a affirmé Leila Ben Messaoud Ouellet.

Elle a alors cité en exemple l’entente signée en 2018 avec le Conseil de la nation atikamekw, qui s’occupe des enfants des communautés de Wemotaci et Manawan. Le Conseil de la nation atikamekw avait dû faire ses preuves pendant une quinzaine d’années.

« En conclusion, la seule loi digne de nos enfants sera celle que nos gouvernements des Premières Nations choisiront d’appliquer par l’exercice de leurs droits en la matière.  »

— Une citation de  Ghislain Picard, chef de l’APNQL.

Des appuis

La présidente de la Commission spéciale sur les droits de l’enfant et la protection de la jeunesse, qui a été la première à commenter le projet de loi 15 en commission parlementaire, a salué le projet de loi, mais s’est inquiétée du fait que toutes ses recommandations ne soient pas prises en compte.

Je veux croire que ces modifications à la Loi sur la DPJ [concernant les Autochtones ] ne sont que transitoires, puisqu’une de nos recommandations en la matière est de supporter le droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale en matière de protection de la jeunesse pour les Autochtones, a lancé Régine Laurent.

Mme Laurent s'assoit à une table pour donner une conférence de presse.

La présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Régine Laurent.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a abondé dans le même sens. Si le gouvernement fait un pas en avant en proposant de dédier un chapitre de la LDPJ aux peuples autochtones, il rate néanmoins une belle occasion de faire un réel pas vers l’autodétermination des peuples autochtones en matière de protection de la jeunesse, a souligné Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre.

Force est de constater, au regard des recommandations des commissions Vérité et Réconciliation, Viens et Laurent, de l’adoption de la Loi C-92 ainsi que des revendications des peuples autochtones, que l’autodétermination est la seule voie sur laquelle le Québec doit s’engager , a estimé M. Malenfant dans un communiqué.

Dans son mémoire, le Barreau du Québec, a recommandé au gouvernement québécois d’ajouter dans sa loi une mention qui affirme clairement le droit à l’autodétermination et le principe d’égalité réelle des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille.

Un certain arrimage demeure à faire avec les dispositions prévues à la loi fédérale, par exemple, en matière d’ordre de priorité de placement et de durée maximale de ceux-ci, peut-on lire dans le mémoire.

Mme Laurent, qui témoignait à titre personnel, a aussi plaidé pour davantage d’accompagnement et de financement pour que les communautés autochtones puissent développer leur propre programme de protection de l’enfance.

Ghislain Picard a prévenu : cette marche vers l’autodétermination se fera seule si nécessaire. Les interférences de tout gouvernement ne seront pas tolérés. Pour le moment, le gouvernement du Québec montre du mépris envers les Premières Nations pour ce qui est le plus précieux pour elles : le droit et la protection de leurs enfants!

Ghislain Picard était accompagné du chef d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish. La communauté atikamekw est devenue la première du Québec à être autonome en matière de protection de la jeunesse via la loi fédérale C-92.

Jean-Claude Mequish est venu donner des explications sur la loi de la protection sociale atikamekw, entrée en vigueur le 17 janvier 2022.

Inquiétude quant à une multiplication de lois

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui a présenté le projet de loi le 1er décembre dernier, a fait part de son inquiétude d’avoir plusieurs lois différentes, pas que de nations différentes mais de communautés différentes et qui s’appliqueraient par exemple à Montréal.

Comment voyez-vous ça ? Pour savoir comment on peut travailler mieux ensemble pour ceux qui choisissent d’être hors communauté, a-t-il demandé.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roussel

Le souci d’harmonisation a toujours été présent, a rétorqué Ghislain Picard. C’est ce qu’on a fait valoir à plus d’une occasion depuis les 25-30 années, […] mais force est de constater que ce n’est pas souvent à l’avantage des communautés que je représente, a lâché le chef de l’APNQL.

La conseillère juridique de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Leila Ben Messaoud Ouellet, a tenu a rappelé que cette possibilité existe déjà dans la loi québécoise.

« D’ailleurs, en quoi avoir une loi qui répond aux besoins de la communauté, aux traditions, aux coutumes et aux pratiques est problématique? Au contraire, selon nous, ça fait toute une différence.  »

— Une citation de  Leila Ben Messaoud Ouellet devant la Commission parlementaire.

Le gestionnaire des services sociaux de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Richard Gray, estime que tout le monde peut collaborer. Mais il se questionne à savoir si le gouvernement québécois est prêt à partager les ressources avec les communautés autochtones. À plusieurs reprises, il a remis en cause le manque de collaboration, voire l’absence de transmission d’informations, par la DPJ, de dossiers d’enfants d’une communauté, malgré la loi.

Régine Laurent a aussi réagi à ce sujet se demandant pourquoi on ne pourrait pas appliquer la loi d’une communauté aux enfants qui sont hors communauté. C’est d’ailleurs une des raisons, a-t-elle souligné, pour lesquelles on parle d’autodétermination : afin de garder les enfants dans leurs communautés.

La Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador est venue aussi faire part de ses craintes quant aux délais de placement qu’elle veut voir éliminer pour les enfants autochtones, la collaboration entre les services, la confidentialité et l’échange d’informations.

De plus, la Commission s’inquiète que la LDPJ ne comporte aucune exigence précise quant à l’accès à des services dans une langue autre que le français, à un interprète ou à des documents traduits. Elle a rappelé l’importance de la prévention puisque 85 % des cas en protection de la jeunesse sont pour négligence.

Elle souhaite aussi voir la mise en œuvre rapidement, en partenariat avec les Premières Nations et les Inuit, d’une recommandation de la Commission Laurent : la création d’un poste de commissaire adjoint consacré exclusivement aux enfants autochtones.

Mme Laurent rappelle du même souffle que sa recommandation première reste de reconnaître et de respecter la compétence des Premières Nations et des Inuit en matière de protection de la jeunesse dans le préambule de la future loi.



Reference-ici.radio-canada.ca

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