Mois de l’histoire des Noirs : comment rendre les espaces artistiques plus inclusifs? | Histoire des Noirs – Ontario


Des artistes et commissaires d’exposition noirs tentent de créer un changement à long terme, qui ira au-delà des initiatives entourant le Mois de l’histoire des Noirs, chaque mois de février.

Encore aujourd’hui, vous pouvez aller dans une foire d’art, à Art Basel ou dans une galerie et constater le manque évident de représentation, affirme la commissaire d’exposition et directrice artistique torontoise Ashley McKenzie-Barnes.

Une femme avec des lunettes.

Cet été, Ashley McKenzie-Barnes a eu l’idée de collaborer avec l’artiste de renom Nina Chanel Abney pour créer une murale qui éveille les consciences.

Photo : Radio-Canada / Myriam Eddahia

Syrus Marcus Ware, artiste et activiste, fait le même constat.

Les artistes noirs n’ont pas les mêmes occasions d’avoir leur travail exposé dans un espace public que les artistes blancs. Il existe un problème enraciné dans la suprématie blanche et le racisme anti-Noirs dans les arts qui doit être résolu, affirme celui qui est aussi professeur adjoint à l’École des arts de l’Université McMaster.

Les oeuvres des artistes noirs sont rarement collectionnées ou exposées dans les principales galeries, observe-t-il.

Un homme avec des lunettes, les bras croisés, pose au milieu d'un parc.

Syrus Marcus Ware est également porte-parole de Black Lives Matter Toronto.

Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle

Inviter un artiste noir en février ou permettre à un artiste noir de gérer votre compte Instagram pendant une journée ne suffit pas, note Syrus Marcus Ware.

Vous devez aborder le racisme anti-Noirs dans toutes ses formes au sein de votre établissement et dans la vie de tous les jours, renchérit celui qui est aussi porte-parole de Black Lives Matter Toronto.

Nous devons créer des conditions dans lesquelles les artistes noirs peuvent s’épanouir et voir leurs oeuvres exposées et critiquées par le public, poursuit-il.

Prise de conscience collective

Des mesures progressives sont prises [dans ces établissements] en raison de la prise de conscience que 2020 et au-delà a suscitée dans la société, explique Ashley McKenzie-Barnes, qui croit tout de même qu’un problème systémique persiste.

Depuis la mort de George Floyd, je pense que le public est plus ouvert à l’art, à la culture et à comprendre le racisme, mais ça ne se traduit pas [nécessairement] par une industrie qui est prête à le faire, indique-t-elle.

À Minneapolis, un enfant sur les épaules de son père avec une pancarte représentant George Floyd.

Le meurtre de George Floyd aux mains d’un policier en 2020, à Minneapolis, a mobilisé de nombreuses communautés à travers le monde.

Photo : AP / Jim Mone

Cette responsabilité [de rendre les espaces artistiques plus inclusifs] repose sur les personnes déjà présentes dans ces organisations. En ce moment, on a l’impression de leur forcer la main plutôt que d’avoir un dialogue commun axé sur l’ouverture, estime Ashley McKenzie-Barnes.

« À grande échelle, on a l’impression que peu de choses ont changé. »

— Une citation de  Ashley McKenzie-Barnes, commissaire d’exposition et directrice artistique

En 2020, il y a certainement eu un changement majeur, affirme la directrice adjointe de la mobilisation des visiteurs du Musée royal de l’Ontario, Jennifer Wild.

La tragédie de la mort de George Floyd a vraiment accéléré la conversation dans de nombreux musées, indique-t-elle.

Une femme rousse aux yeux verts.

Jennifer Wild est la directrice adjointe de la mobilisation des visiteurs du Musée royal de l’Ontario.

Photo :  Musée royal de l’Ontario (ROM)

Au cours de plus de 25 ans de carrière dans le domaine, elle dit avoir observé l’évolution de ces établissements et l’amélioration de la diversité.

Nous sommes de meilleurs musées lorsque nous travaillons avec des personnes de perspectives et d’expériences de vie différentes et que nous utilisons nos ressources et notre plateforme pour les partager avec le monde, pense Jennifer Wild.

Des passants qui portent un masque passent devant de Musée royal de l'Ontario.

Aucune des expositions à l’affiche au Musée royal de l’Ontario ne souligne la contribution des personnes noires.

Photo : La Presse canadienne / Cole Burston

Je pense qu’il est important de mettre en évidence les contributions des Canadiens noirs en février, mais surtout de nous assurer de le faire toute l’année. Nous le faisons dans le contenu de notre programmation, de nos expositions et dans notre programmation scolaire, affirme-t-elle.

Mme Wild croit aussi que l’embauche de personnes racisées au sein des musées est une partie importante de la solution.

Tout comme nous voulons que nos visiteurs reflètent la diversité du public, le personnel et nos bénévoles doivent également représenter cette diversité, soutient-elle.

Un changement qui passe par l’embauche

Pour qu’un changement structurel soit possible, il faudra changer d’approche à tous les égards, croit Ashley McKenzie-Barnes.

L’embauche de davantage de personnes noires dans le secteur permettra, selon elle, de diversifier les collections des musées et des galeries, en plus de changer la culture interne de ces espaces historiquement figés dans le temps.

Les institutions sont tellement en retard en ce qui a trait à l’élaboration de politiques, à l’embauche de diversité et d’inclusion, particulièrement lorsqu’il est question d’art contemporain ou de ballet, constate la commissaire d’exposition.

En comité, les organisations artistiques essaient de combler ces vides parce qu’elles se rendent compte qu’elles traînent de la patte, raconte-t-elle, ayant elle-même participé à certaines discussions.

« Nous sommes dans le système pour créer un changement. »

— Une citation de  Ashley McKenzie-Barnes, commissaire d’exposition et directrice artistique

Ashley McKenzie-Barnes reconnaît que de plus en plus de rôles dans l’industrie sont occupés par des femmes noires et des personnes racisées, mais elle juge que c’est encore trop peu.

Elle soutient qu’il faut que plus de personnes noires prennent les décisions sur les histoires racontées, comme au sein d’agences de création, par exemple.

Au cours des dernières années, nous avons eu du soutien de la part d’établissements comme le Musée des beaux-arts de l’Ontario, The Power Plant et Harbourfront. Mais nous voyons [de plus en plus de projets par des artistes noirs] grâce aux personnes noires qui travaillent dans ces organisations, explique la commissaire d’exposition qui a collaboré avec la Ville de Toronto, notamment.

L'exposition Know Your Rights proposée par Colin Kaepernick au centre Harbourfront dans le cadre du festival Kuumba

En 2020, l’exposition Know Your Rights par Colin Kaepernick était proposée au centre Harbourfront dans le cadre du festival Kuumba.

Photo : Harbourfront Centre – Artist Colin Kaepernick

Ces personnes racisées travaillent très dur, probablement plus que plusieurs autres commissaires et directeurs, pour avoir un espace et un dialogue autour de l’histoire des Noirs, des corps noirs et de la culture noire, poursuit-elle.

Les occasions artistiques pour les personnes noires se sont multipliées depuis 2020, mais le travail des artistes et commissaires d’exposition noirs n’est pas plus facile pour autant, au contraire.

Je pense qu’en ce moment, les gens se précipitent souvent. Je reçois des appels qui me demandent si une personne racisée ou un directeur créatif noir est disponible. Ça ne marche pas comme ça, explique la directrice artistique, Ashley McKenzie-Barnes.

Nous ne sommes pas là pour remplir un quota de diversité. Nous voulons créer un travail artistique pertinent et important, tout en respectant l’artiste et ce qui lui est dû, rappelle-t-elle.

Un espace par et pour

Il y a encore beaucoup de travail à faire pour que les organisations artistiques soient réellement inclusives, réitère la cofondatrice et directrice d’une galerie d’art consacrée à la communauté noire, Karen Carter.

Black Artists’ Networks in Dialogue (BAND) est un organisme à but non lucratif voué à soutenir, documenter et mettre en valeur les contributions artistiques et culturelles des artistes et travailleurs culturels noirs au Canada et à l’étranger.

Une femme sourit.

Karen Carter aide les artistes et commissaires d’exposition émergents à apprendre les ficelles du métier.

Photo : Radio-Canada / Myriam Eddahia

Fondé par quatre femmes noires qui ont contribué à façonner le paysage artistique canadien, le centre culturel BAND veut offrir une porte d’entrée aux personnes noires qui souhaitent intégrer le milieu à leur tour.

« On comble une lacune en leur donnant le soutien nécessaire pour se développer, avoir plus de succès dans le secteur culturel canadien et tisser des liens avec des personnes noires à travers le monde. »

— Une citation de  Karen Carter, cofondatrice et directrice de BAND

Avec plus de 25 ans d’expérience, Karen Carter accompagne des artistes et commissaires d’exposition émergents dans leurs premiers projets professionnels.

Elle offre une série de services qui permettent d’outiller ces membres de la communauté noire sans qu’ils aient à dépendre des organisations traditionnelles comme les musées et les galeries.

Une maison convertie en galerie d'art.

La galerie Black Artists’ Networks in Dialogue (BAND) est aménagée dans une maison peinte en noir dans le quartier Parkdale à Toronto. L’organisme souhaite effectuer des rénovations pour en faire un musée.

Photo : Radio-Canada / Myriam Eddahia

Notre existence est un acte de résistance. […] Ici, nous avons le contrôle, nous avons un espace par et pour nous, explique Karen Carter.

Les espaces comme celui-ci sont essentiels pour nous éduquer et établir le récit culturel de notre communauté, ajoute-t-elle.

À l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, la galerie Black Artists’ Networks in Dialogue présentera sa nouvelle exposition, qui souligne la contribution des Canadiens noirs et personnes noires dans l’effort de guerre, le 17 février.

Deux tableaux.

Les portraits de Jacqui Cooke seront exposés à la galerie BAND. L’exposition sera ouverte au public le 17 février 2022.

Photo : Radio-Canada / Myriam Eddahia

Karen Carter espère continuer d’inspirer de futures générations d’artistes et de professionnels à plonger dans le domaine artistique pour le rendre plus représentatif de la société.

La galerie veut d’ailleurs maximiser son espace en triplant l’utilisation de ses murs.

Pour se faire, Black Artists’ Networks in Dialogue a besoin d’amasser plus d’un million de dollars en financement pour convertir la maison située dans le quartier de Parkdale en musée.

Avec ou sans l’appui des institutions, Karen et son équipe ont la mission de faire briller les artistes et artisans noirs sur leurs murs et au-delà.



Reference-ici.radio-canada.ca

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