D’itinérant à élu : le parcours inspirant d’un homme de Saint-Hyacinthe


En me voyant avec mon micro à la main, il me dit : Moi, je suis un ancien itinérant, puis maintenant, je suis conseiller municipal. Vous aimez ça, vous, les médias, ce genre d’histoires-là! Si tu veux en savoir plus, va voir le documentaire qui a été fait sur moi. Ça s’appelle Jeannot le fou, c’est moi! C’était mon premier contact avec Jeannot Caron.

Intriguée, j’ai visionné ce documentaire réalisé il y a 15 ans par deux étudiants. C’était au début des années 2000. Les images montrent un homme au début de la quarantaine, cheveux longs ébouriffés, qui installe un campement de fortune sur les rives de la rivière Yamaska.

On voit les policiers l’avertir, lui dire qu’il doit partir, puis les services municipaux démantèlent son abri et jettent dans un conteneur tous les objets qu’il avait ramassés : des chaises, des tables, des couvertures.

Mais surtout, on voit un homme qui, avec toujours plus de conviction, recommence et reconstruit son campement, jour après jour. Il a reçu de nombreuses amendes pour s’être installé près de la rivière, il a même fait de la prison. Il dérangeait la Ville, les élus. On l’entend aussi prendre la parole lors d’une séance du conseil municipal pour dénoncer le harcèlement dont il fait l’objet. Les conseillers sont mal à l’aise en raison de son intervention longue, trop longue, et, sur le visage du maire, on note une certaine impatience. Il dit d’ailleurs ceci à Jeannot Caron : Je vous écoute depuis sept ou huit minutes, je pense que vous avez un message à passer. Je pense que vous l’avez passé!

Quand j’ai pris contact avec Jeannot Caron, quelques mois plus tard, il avait une fois de plus remporté ses élections et obtenu un deuxième mandat comme conseiller municipal de Saint-Hyacinthe.

Une image du documentaire Jeannot le fou réalisé par Francis Pinard et Benoît Thomassin.

Une image du documentaire Jeannot le fou réalisé par Francis Pinard et Benoît Thomassin

Photo : Documentaire Jeannot le fou

Écoutez le reportage de Karine Mateu à l’émission Désaultels le dimanche du 12 mars.

La rencontre

Souriant et jovial, Jeannot Caron me donne rendez-vous dans un local de la rue des Cascades, le 1855, au cœur du centre-ville. Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Il s’agit d’une galerie d’art, mais pas n’importe laquelle : C’est une galerie d’art communautaire, un OBNL que j’ai mis sur pied il y a sept ans. Les jeunes et les moins jeunes, des professionnels, des amateurs, tout le monde peut venir y peindre, tout le monde est bienvenu, explique cet homme qui a recommencé sa vie à zéro.

Et ce n’est pas tout : cette galerie est située dans un immeuble qui lui appartient, car le conseiller municipal est aussi un homme d’affaires qui possède aujourd’hui plusieurs immeubles à Saint-Hyacinthe. Dans ces édifices, des locaux sont réservés pour des groupes d’entraide. D’ailleurs, à quelques portes de là, la friperie Les Trouvailles de l’Abbé Leclerc a pignon sur rue. Au deuxième étage, Jeannot Caron loue quelques-uns de ses logements à des gens à faible revenu. C’est une façon pour lui d’aider ses concitoyens en difficulté et de redonner au milieu communautaire, qui ne l’a jamais laissé tomber : C’est un des éléments qui font que je suis encore en vie aujourd’hui. Les gens qui sont là, les services qu’ils donnent, ils m’ont aidé à cheminer et à réussir à m’en sortir.

Dans les années 1990, Jeannot Caron possédait une entreprise de construction. Il employait une quinzaine d’employés, puis un incendie a tout détruit. Il n’était pas assuré : J’ai tout perdu. J’ai fait une dépression et je consommais dans ce temps-là : de la boisson, de la cocaïne, j’avais plusieurs dépendances. Pis là, le monde qui me connaissait d’avant me voyait aller. Le marginal de la ville, c’est pas évident. C’était vraiment spécial quand tu regardes ça aujourd’hui. Cette période de sa vie a duré sept ans.

Bon, on y va-tu? J’ai d’autres personnes à te présenter, lance-t-il. Assez parlé de lui! C’est le temps de me montrer qu’on ne reste pas les bras croisés à Saint-Hyacinthe pour aider les plus démunis.

À la soupe!

Isabelle Cossette.

La responsable de l’Accueil fraternel du Centre de bénévolat de Saint-Hyacinthe, Isabelle Cossette

Photo : Centre de bénévolat de Saint-Hyacinthe

Je suis venu manger ici tous les jours pendant sept ans, me confie Jeannot Caron au moment où on entre à la soupe populaire de l’Accueil fraternel. Dès nos premiers pas, les bénévoles nous saluent chaleureusement. Rapidement, la responsable, Isabelle Cossette, dynamique et enjouée, se présente et m’explique avec fierté son service : Ici, on sert des repas sept jours par semaine, 365 jours par année. On est toujours ouverts, même à Noël et au jour de l’An. Notre particularité, c’est qu’on fait du service en salle à manger. Ce sont des bénévoles qui vont servir aux tables.

La pandémie a obligé l’organisme à s’adapter, mais le service n’a jamais été fermé. Il est essentiel, ajoute Mme Cossette : Pendant la pandémie, on a installé un chapiteau dehors. On a livré des repas, mais dernièrement, on est revenus dans nos locaux habituels. Tant mieux, parce que pour certains, c’est un besoin de manger à l’intérieur, de jaser avec nous. On est comme une famille pour eux. Ils sont habitués à nos visages, c’est un grand besoin.

Assis seul à une table collée contre le mur, Louis accepte de me parler. C’est un habitué. Ça fait à peu près quatre ans que je viens ici presque tous les jours. Ils nous donnent beaucoup. Il y a le plat principal et ils nous donnent de la nourriture pour toute la journée.

Autour de nous, plusieurs femmes et plusieurs hommes sont assis devant leur repas chaud. Chacun a son histoire. Louis me raconte quelques bribes de la sienne, aidé par Jeannot Caron : Il y a quelques mois, Louis a tout perdu dans un incendie. On peut dire qu’il a été chanceux dans sa malchance, parce qu’il a maintenant un logement subventionné. S’il n’était pas passé au feu, il serait encore sur une liste d’attente. Louis, lui, se rappelle surtout que la Croix-Rouge l’a hébergé pendant deux jours à l’hôtel Le Sheraton. J’ai été choyé, me lance-t-il en souriant.

Changement d’approche

André Beauregard.

Le maire de Saint-Hyacinthe, André Beauregard

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Avec les années, le nouveau maire de Saint-Hyacinthe, André Beauregard, juge que la Ville a changé d’approche envers les itinérants, et il s’en réjouit. Je pense qu’il n’y avait pas les mêmes ressources à l’époque. Les gens étaient plus laissés à eux-mêmes et on était plus en répression. On les sortait, on essayait de les chasser. Je pense qu’on n’est plus dans cette façon de faire-là aujourd’hui.

Au cours de la dernière année, les services municipaux ont recensé 120 personnes en situation d’itinérance dans la ville et 400 personnes ont eu recours aux services d’aide. Difficile de dire si la pandémie a amplifié le phénomène, mais une chose est certaine : elle l’a rendu plus visible. C’est sûr que les itinérants, on les voyait plus, dit-il. En effet, lorsque tout a été fermé pendant le confinement, ceux qui n’avaient nulle part où aller sont restés dans la rue, surtout au centre-ville.

D’ailleurs, quand on y circule, on remarque tout de suite les nombreuses tours de logements qui poussent un peu partout. Par contre, elles sont réservées à des gens plus aisés, et le maire en est bien conscient : On ne se le cachera pas, ça amène de l’argent à la Ville, ce qui va nous permettre d’aider. C’est ça que je dis à ceux qui nous critiquent. Oui! Ça ne fait peut-être pas votre affaire, mais en bout de ligne, ça va rapporter des taxes à la Ville, qui vont nous permettre de faire autre chose pour les gens plus démunis et d’offrir des services que les gens demandent.

Au coin de la rue

Josianne Daigle.

Josianne Daigle, directrice du Centre d’intervention jeunesse des Maskoutains et du centre de jour Au coin de la rue.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Parmi les réalisations auxquelles la Ville a contribué, il y a la construction d’un immeuble où loge le centre de jour Au coin de la rue, là où m’emmène mon guide, Jeannot Caron. Sans surprise, la directrice générale, Josianne Daigle, le connaît bien. Cette femme qui compte 25 années d’expérience en intervention était travailleuse de rue à l’époque où Jeannot était sans-abri : Ça se passait bien, mais il me confrontait. Il me disait : ”Pourquoi tu ne peux pas faire ça pour moi? Pourquoi ce n’est pas fait, ici, localement?” La première personne qui s’est indignée qu’on donne un billet d’autobus aux itinérants pour les envoyer à Montréal, c’est lui! C’est vrai! Pourquoi? On a remis en question nos approches. On s’est mobilisés.

Elle ajoute en riant : Maintenant, comme conseiller, on travaille encore ensemble, et il n’est pas le genre à laisser tomber un projet!

Justement, la construction de la bâtisse, qui héberge aujourd’hui non seulement le centre de jour mais aussi des chambres pour la nuit et des appartements de transition, est un projet dans lequel Jeannot s’est impliqué. Le bâtiment est neuf et adapté aux besoins des personnes itinérantes, ce que demandaient depuis des années les organismes communautaires qui leur viennent en aide.

Mais tout n’est pas rose, déplore Josianne Daigle : En région, le financement n’est pas comme à Montréal. Quand descendent les gros programmes ministériels et les plans d’action, les grandes villes-centres reçoivent presque 70 % de l’enveloppe, et le reste, c’est pour les régions. C’est comme si on ne reconnaissait pas qu’il y a de l’itinérance chez nous!

La façade d'un bâtiment.

Le centre de jour Au coin de la rue comporte des chambres pour la nuit et des appartements de transition pour les personnes en situation d’itinérance.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Selon le dernier dénombrement officiel, qui date de 2018, la moitié des quelque 6000 itinérants visibles au Québec, c’est-à-dire ceux qu’on voit dans les rues et dans les refuges, vivent à l’extérieur de Montréal, dans les diverses régions du Québec. Le prochain dénombrement doit être fait cette année. Il permettra de démontrer si la pandémie a fait augmenter le nombre de personnes en situation d’itinérance.

Josiane Daigle réclame avec d’autres que les réalités de la Montérégie soient prises en considération : le taux d’inoccupation des logements, le taux de pauvreté et le taux de diplomation de la population.

Selon elle, rien ne laisse croire pour l’instant que les choses vont changer, car, au moment de ma visite, les employés ne savaient même pas s’ils pourraient entrer au travail au cours des prochaines semaines. Il y a eu des aides d’urgence du fédéral pour l’itinérance qui nous ont permis de mettre en place l’offre 24/7, mais au 31 mars, on retombe avec 78 000 $ pour tout faire fonctionner. On a une dizaine d’employés et on n’a pas parlé de nourriture, de buanderie, de la literie… On s’est adressés au ministère et on va continuer à le faire. Sinon, au 1er avril, il va rester de la brique et du béton!

Les Trouvailles, un lieu de réconfort

Alain Robert.

Alain Robert est chargé de projet à la friperie Les Trouvailles de l’Abbé Leclerc à Saint-Hyacinthe.

Photo : Générosité

As-tu le temps d’arrêter aux Trouvailles? me lance Jeannot. J’aimerais te présenter Alain! Les Trouvailles de l’Abbé Leclerc, c’est une friperie logée dans son immeuble, tout près de la galerie d’art. J’ai déjà pas mal d’entrevues dans mon enregistreuse, mais je sens son enthousiasme.

En entrant dans la friperie, je comprends. À travers la musique commerciale dans les haut-parleurs et le bruit des paniers, le lieu fourmille non seulement de clients mais aussi d’employés et de bénévoles. Au sous-sol, certains transportent des boîtes de dons remplies de vêtements de seconde main pendant que d’autres s’affairent à les trier.

Le responsable, Alain Robert, est occupé. Une femme se confie à lui, les larmes aux yeux, la voix enrouée. L’homme écoute avec douceur. J’attends, je ne veux pas les déranger. Elle a déposé quelques objets dans son panier, mais je comprends qu’elle n’est pas venue faire des achats : elle avait surtout besoin de parler. Parfois, il y a des gens dont c’est la seule sortie, me confirme Alain. Avant la pandémie, il y avait des journées où plus de 80 % des gens qui entraient ici, c’était leur sortie de la semaine, leur lieu de rencontre. Les gens, comme cette dame, qui ont besoin de parler, on les écoute. Je lui avais offert de s’asseoir, mais elle préférait rester près de la porte. Peu importe, on est là.

Avec des étincelles dans les yeux, Alain Robert ajoute ceci : Moi, j’habille aussi les gens! Cet hiver, j’ai pu offrir des centaines d’habits de neige à des gens dans le besoin. Si, par exemple, Jeannot rencontre quelqu’un qui n’a pas de bas dans ses chaussures, un itinérant qui n’a pas de bottes, de sac de couchage, je lui en donne! Un sinistré aussi : on est là pour ça! C’est ça, les Trouvailles!

Trop généreux? Trop de services?

Un peu plus loin dans la même rue, le commerçant Alva Gagnon, établi au centre-ville, dans le marché public, discute avec des clients. Jeannot l’interpelle. Il tient à ce que j’entende son point de vue. Je veux bien aider ceux qui restent ici, mais je ne veux pas aider le Québec au complet, me dit-il d’emblée. Il est clair qu’il ne voit pas d’un très bon œil tous les efforts déployés par la Ville de Saint-Hyacinthe pour venir en aide aux itinérants.

On a des services que les autres villes n’ont pas. Ici, ce n’est pas un demi-sous-sol, c’est un penthouse! Je le dis à Jeannot. La Ville investit là-dedans, c’est bien, mais chaque fois qu’il y a un nouveau, je lui demande : ‘’Tu viens d’où? De Longueuil? De Sorel? Ben, qu’est-ce que tu fais ici?” “Ben, ici, il y a tout!’’ C’est ça qu’ils me répondent tous. Et ça se dit entre eux. Il y a un chum, un autre, puis un autre. Moi, je ne veux pas en attirer 75 de plus par année, s’indigne-t-il.

C’est une vision qui détonne par rapport à toutes celles que j’ai entendues depuis le matin. Je suis d’ailleurs un peu surprise que Jeannot Caron ait tenu à ce que je l’entende. Il me répond : Je le connais, son discours. Ça fait longtemps qu’on se connaît et sa vision n’a jamais changé! Mais c’est une perception, ce n’est pas la réalité. À Longueuil, ils ont dix fois plus de services que nous! En plus, la pratique entre les organismes, c’est de retourner les gens dans leur ville pour leur offrir des services proches d’eux. C’est important, leur milieu. Et puis, en même temps, ils sont quand même libres de leurs mouvements. S’ils veulent venir ici, on ne peut pas les empêcher.

Pour Jeannot Caron, les propos de ce commerçant sont la preuve qu’il y a encore du chemin à faire pour changer les mentalités, mais son combat devra attendre…Quinze heures viennent de sonner et c’est le moment où il troque ses habits de défenseur des itinérants pour ceux de papa monoparental, parce que dans sa nouvelle vie, sa petite fille de neuf ans, Maela, occupe une place centrale. Est-ce qu’on peut passer aux Trouvailles avant de rentrer à la maison? demande-t-elle. Elle veut que je lui achète un dictionnaire de synonymes, répond son père. Est-ce que je vais pouvoir avoir une poupée… un camion de poupée? réplique-t-elle. Je les laisse sur ces échanges.

Demain, après être allé reconduire sa fille à l’école, Jeannot Caron reprendra le flambeau.

Jeannot Caron et Maela.

Jeannot Caron et sa fille Maela

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu



Reference-ici.radio-canada.ca

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