Au Nicaragua, comme en Russie, l’étau se resserre sur les opposants


En février ont commencé les procès contre 46 opposants au régime, emprisonnés depuis des mois. Jusqu’à maintenant, une trentaine de personnes ont été jugées derrière des portes closes et condamnées à des peines de prison allant de 8 à 13 ans. Une situation dénoncée par plusieurs organismes, dont le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Dans son rapport rendu public le lundi 7 mars, Michelle Bachelet, la haute-commissaire, déplore les conditions de détention ainsi que le manque de garanties juridiques accordées aux accusés.

« Des mesures urgentes doivent être prises pour assurer la libération rapide et garantir l’intégrité physique et mentale des personnes détenues arbitrairement. »

— Une citation de  Extrait de la présentation de Michelle Bachelet

Il y a des preuves de torture des détenus, qui sont privés de nourriture et de soins médicaux, raconte Kai Thaler, professeur adjoint au Département d’études mondiales de l’Université de la Californie à Santa Barbara, spécialiste du Nicaragua.

Le sandiniste Hugo Torres, ancien compagnon d’armes du président Ortega, âgé de 73 ans, est d’ailleurs mort en détention le 12 février. Le parti d’opposition au sein duquel il militait, Unamos, avait dénoncé en janvier la détérioration de son état de santé, après huit mois d’emprisonnement.

« Un processus judiciaire farfelu »

Les procès se déroulent en prison, à huis clos. Les avocats de la défense n’ont pas accès aux dossiers et ne peuvent parler à leurs clients que quelques minutes avant le début des procédures.

D’après ce que racontent des avocats, des journalistes et des proches des détenus, ces derniers ont été jugés sans aucun préavis. Ils ont été emmenés dans une pièce où il y avait un juge et un procureur et on leur a dit : “Vous allez être jugés”, précise M. Thaler.

Lesther Aleman.

Le leader étudiant Lesther Aleman a été condamné à 13 ans de prison pour son rôle dans les manifestations d’avril 2018.

Photo : Getty Images / MAYNOR VALENZUELA

On les accuse de trahison et de crimes contre l’État en vertu de nouvelles lois antiterroristes et contre la cybercriminalité, adoptées après les manifestations de 2018, violemment réprimées.

« Ce sont des accusations sans preuve réelles. C’est vraiment juste un processus judiciaire farfelu pour poursuivre les gens qui défient le gouvernement et qui ont eu l’audace de s’y opposer. »

— Une citation de  Kai Thaler, professeur adjoint à l’Université de la Californie à Santa Barbara.

Les personnes punies jusqu’à maintenant sont essentiellement des opposants politiques qui voulaient se présenter contre Daniel Ortega lors des élections de novembre. Ils ont été arrêtés dans une série de rafles qui ont ciblé sept candidats pressentis et des dizaines d’autres dissidents, dont d’ex-sandinistes influents, tels que Dora Maria Tellez ou Victor Hugo Tinoco.

Quelques-uns des leaders étudiants qui étaient au front lors des manifestations de 2018 ont également été condamnés. C’est le cas de Lesther Aleman et de Max Jerez, qui devront chacun passer 13 ans en prison, rapporte le Centre nicaraguayen des droits de la personne (CENIDH).

L’Alliance universitaire du Nicaragua (AUN), dont Max Jerez est le président, a dénoncé ce jugement, qu’elle a qualifié de farce.

« Max Jerez n’a commis aucun délit, on l’a condamné parce que c’est un opposant et qu’il a exprimé publiquement ses critiques par rapport aux violations des droits de la personne commises par la dictature d’Ortega et Murillo [l’épouse du président Ortega]. »

— Une citation de  Communiqué de l’Alliance universitaire du Nicaragua.

Au moins 150 autres prisonniers politiques, arrêtés pour la plupart après la vague de contestation de 2018, croupissent dans les cellules du complexe carcéral, où ils subissent des traitements cruels, inhumains et dégradants, selon le CENIDH.

Fermeture des universités

Une autre décision du couple Ortega-Murillo dénoncée par la communauté internationale est la récente fermeture d’une dizaine d’universités privées et les réductions majeures au budget de plusieurs autres.

Des étudiants marchent devant un bâtiment.

L’Université centraméricaine fait partie des institutions visées par le couple présidentiel.

Photo : Getty Images / OSWALDO RIVAS

Le Parlement nicaraguayen, dominé par les partisans du président, a approuvé au début du mois de février des lois nationalisant certaines universités et annulant leur personnalité juridique. Parmi elles, l’Université polytechnique privée du Nicaragua (UPOLI), fer de lance des manifestations contre Daniel Ortega d’avril 2018.

UPOLI a été l’un des centres de protestation et de résistance en 2018, explique Kai Thaler. C’est à partir de son campus que les étudiants ont organisé les manifestations et les barrages routiers qui ont paralysé la capitale. C’est d’ailleurs là qu’étudiait notamment Max Jerez.

« S’en prendre à cette institution est particulièrement significatif. Le régime veut l’utiliser comme un exemple et en même temps se venger de ceux qui le défient directement. »

— Une citation de  Kai Thaler, professeur adjoint à l’Université de la Californie à Santa Barbara.

Qu’arrivera-t-il aux étudiants et aux enseignants?

On n’en sait rien, puisque ces mesures sont complètement improvisées, souligne Pedro Fonseca, analyste politique nicaraguayen réfugié au Costa Rica. Il n’y a aucune planification. On se demande qui, au sein du régime, s’est levé le matin et a pensé : on va fermer les universités ou on va perquisitionner dans telle entreprise. C’est de l’improvisation pure.

Il reste bien les universités publiques, mais elles n’ont aucune crédibilité, précise M. Fonseca.

Des jeunes tiennent des drapeaux et lèvent le poing.

Des étudiants participent à une manifestation antigouvernement à Leon le 30 juillet 2018.

Photo : Reuters / Oswaldo Rivas

Les universités publiques sont sous contrôle doctrinal partisan, affirme-t-il. Les enseignants n’y ont aucune liberté. Dans les universités privées, l’éducation était de meilleure qualité et les étudiants avaient la possibilité d’obtenir des bourses, qui, dans les universités publiques, sont réservées aux militants du parti sandiniste et à ceux ayant des contacts bien placés, soutient M. Fonseca.

Les universités publiques ont été complètement cooptées, ajoute Kai Thaler. Quiconque y défie le gouvernement est poussé vers la sortie.

L’objectif est de contrôler la liberté de pensée au pays, croit Pedro Fonseca.

« On veut soumettre tous les mouvements qui surgissent dans les universités : pas seulement les mouvements intellectuels, mais également sociaux et culturels. »

— Une citation de  Pedro Fonseca, analyste politique.

Le ministère de l’Intérieur soutient que les institutions visées ont enfreint la loi puisqu’elles avaient omis de mettre à jour leur situation financière.

Les médias dans la mire

La fermeture des universités représente une nouvelle phase d’attaques contre la société civile, après la répression contre les médias, estime Kai Thaler.

Plus aucun journal n’est imprimé au Nicaragua depuis cet été. Les quotidiens affirment que le papier et d’autres intrants nécessaires à l’impression sont retenus aux douanes.

Même avant 2018, les journalistes et les médias étaient victimes de menaces, raconte Pedro Fonseca, mais c’est après les manifestations d’avril que la violence s’est vraiment accentuée. C’est là que le régime s’est dit : “on y va.” C’était une ligne directrice, une stratégie contre l’opposition qui consistait à faire tout ce qui serait nécessaire pour rester au pouvoir.

« S’il fallait attaquer les gens dans la rue, on le ferait, s’il fallait fermer ou brûler des commerces, on le ferait, et s’il fallait assassiner, c’est ce que le régime ferait. »

— Une citation de  Pedro Fonseca, analyste politique.
Une murale représentant le président Daniel Ortega sur laquelle est écrit « asesino », assassin.

Au moins 300 personnes ont perdu la vie dans la répression des manifestations de 2018.

Photo : La Presse canadienne / Esteban Felix

Des dizaines de journalistes se sont exilés vers les pays voisins après des menaces et l’emprisonnement de personnalités réputées, comme Miguel Mora. Le directeur de la chaîne télévisée 100 % Noticia, et aspirant à la présidence, a été condamné à 13 ans de prison pour avoir partagé sur son compte Twitter de l’information sur les sanctions imposées par les États-Unis à de hauts dirigeants. Un autre journaliste connu, Miguel Mendoza, a pour sa part été condamné à 9 ans de prison. Il avait, lui aussi, émis des critiques contre le régime sur les réseaux sociaux, ce qui lui a valu d’être accusé d’avoir porté atteinte à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination du pays.

Il n’y a pas que les journalistes qui doivent se taire. Plus de 80 ONG, nicaraguayennes et étrangères, œuvrant pour la protection des droits de la personne, la démocratie et le développement ont vu leurs permis suspendus depuis 2018, parce qu’elles avaient omis de remettre leurs états financiers.

La répression a atteint un point culminant, déplore Kai Thaler. Quiconque se montre moyennement critique du gouvernement peut être arrêté. Le gouvernement a consolidé son contrôle pour s’assurer qu’un soulèvement comme celui de 2018 ne puisse plus avoir lieu.

Un des derniers alliés de Daniel Ortega est le président russe, Vladimir Poutine. Après la visite de son vice-premier ministre, Yuri Borisov, à Managua, le 17 février, c’est le président de l’Assemblée législative russe, Vyacheslav Volodin, qui a visité le pays une semaine plus tard pour l’assurer de son plein soutien et renforcer sa coopération militaire.

Le Nicaragua est l’un des rares pays latino-américains (avec Cuba et la Bolivie) à s’être abstenu lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant la guerre en Ukraine et demandant le retrait immédiat des forces russes, le 2 mars.



Reference-ici.radio-canada.ca

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