Rénovictions : un promoteur et une société d’État montrés du doigt


Des locataires soutiennent que Starlight Investments achète de vieux immeubles pour les rénover et accroître rapidement les loyers, profitant d’une exemption provinciale.

La mère de famille Tahmina Ahmed a ainsi appris qu’elle faisait face à une hausse de loyer de plus de 4 % cette année.

Pour ses voisins et elle, les ennuis ont commencé en 2019, lorsque leur immeuble situé dans l’est de Toronto est passé aux mains de Starlight. Rapidement, le bâtiment s’est transformé en chantier de construction. Les balcons ont d’abord été rénovés, puis ce sont les corridors et le lobby qui ont été remis à neuf.

Jusqu’au jour où les locataires ont trouvé une lettre devant leur porte les prévenant que leur loyer augmenterait bientôt de 4,2 %, soit 3 % au-dessus de la limite permise par la province.

L’Ontario peut toutefois approuver une requête d’augmentation de loyer supérieure au taux légal, notamment pour permettre à un propriétaire de couvrir les frais liés à des rénovations majeures. Cette augmentation peut s’élever jusqu’à 9 % étalée sur trois ans.

Les propriétaires comme Starlight [Investments] font l’acquisition de vieux immeubles qui ont été négligés, mais qui sont encore en relativement bon état et entament très rapidement des rénovations très perturbatrices. […] Sur la base de ces rénovations coûteuses, Starlight [Investments] dépose une requête d’augmentation de loyer supérieure au taux légal, ce qui force les gens à partir de chez eux, explique Philip Zigman, un défenseur des locataires de Toronto.

Tahmina Ahmed, qui touche seulement 1200 $ d’aide sociale mensuellement, dit qu’elle ne peut pas se permettre de voir son loyer augmenter à 1045 $ par mois, si l’augmentation est approuvée.

« Je me suis mise à chercher des refuges, parce que je ne pourrai plus garder mon appartement.  »

— Une citation de  Tahmina Ahmed, locataire et mère

Ce qui se passe au 130, avenue Gowan se produit un peu partout dans la ville, déplore Philip Zigman.

Il explique que la plupart des locataires de l’immeuble comme Tahmina Ahmed ont des revenus modiques ou sont retraités et qu’il leur serait probablement impossible de retrouver un loyer abordable à Toronto s’ils devaient partir.

Tahmina Ahmed fait la vaisselle dans son appartement.

L’appartement de Tahmina Ahmed est vieux et n’est pas en très bon état.

Photo : Radio-Canada / Andréane Williams

Le promoteur se défend

Dans une déclaration par courriel, le porte-parole de Starlight Investments, Danny Roth, affirme que les travaux sont nécessaires et approuvés, complétés et payés dans leur entièreté avant que l’entreprise ne dépose une requête d’augmentation de loyer supérieure au taux légal.

Notre priorité est de faire ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’immeuble et de ses résidents, ajoute-t-il.

« Nos investisseurs approuvent la stratégie générale et le plan d’affaires développés par Starlight. »

— Une citation de  Danny Roth, porte-parole de Starlight Investments
L'immeuble de plusieurs étages situé au 130, avenue Gowan à Toronto.

L’immeuble situé au 130, avenue Gowan à Toronto appartient au promoteur Starlight Investments et à la société d’État Investissements PSP.

Photo : Radio-Canada

Philip Zigman soutient cependant que cette tactique est largement employée par Starlight Investments pour augmenter ses profits.

Quand les locataires partent, Starlight [Investments] rénove les appartements et augmente les loyers de manière significative, affirme-t-il.

Des données compilées par Philip Zigman et la professeure adjointe à l’École de planification de l’Université de Waterloo, Martine August, dans un rapport publié sur le site renovictionsto.com, indiquent que Starlight Investments a déposé 205 requêtes de 2012 à 2019, touchant 16 100 appartements à Toronto.

Il s’agit de l’entreprise qui a déposé le plus grand nombre de requêtes d’augmentation de loyer supérieures au taux légal durant cette période, selon le rapport.

Une société d’État impliquée

Un important partenaire d’affaires de Starlight Investments est l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP), une société d’État fédérale chargée d’investir des fonds pour des régimes de retraite, comme ceux des Forces canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada.

Dans son rapport annuel pour l’année 2020, la société publique indique avoir fait l’acquisition de plus de 6000 logements avec Starlight Investments en Ontario, dont la majorité se trouve dans la région du Grand Toronto.

Investissements PSP est d’ailleurs copropriétaire de l’immeuble où vit Tahmina Ahmed.

Des résidents ont contacté Starlight Investments et Investissements PSP, leur demandant de renoncer à l’augmentation de loyer supérieure au taux légal.

Le gestionnaire de l’immeuble, l’entreprise Greenwin, leur a répondu que l’augmentation de loyer était nécessaire, mais que Starlight avait mis sur pied un programme d’aide aux locataires. Investissements PSP n’a toujours pas répondu aux locataires, selon Philip Zigman.

Un panneau devant l'immeuble situé au 130, avenue Gowan, à Toronto, avec les logos de Starlight Investments et Greenwin.

Le promoteur immobilier Starlight Investments se présente comme le plus grand propriétaire d’immeubles multirésidentiels au Canada.

Photo : Radio-Canada

En janvier, le bureau ontarien de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (Alliance de la fonction publique du Canada), dont le régime de retraite de milliers de membres est géré par Investissements PSP, a elle aussi demandé à la société d’ordonner à Starlight Investments d’annuler l’augmentation de loyer.

L’Alliance de la fonction publique du Canada n’a pas spécifié si elle a reçu une réponse d’Investissements PSP.

La professeure associée à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, Darlene Himick, explique que les gestionnaires de fonds comme Investissements PSP n’obéissent pas à des règles spécifiques lorsque vient le temps de décider où investir.

Peut-être que certaines personnes qui contribuent [au régime de retraite] ou qui en reçoivent des prestations de retraite sont locataires dans cet immeuble, souligne-t-elle.

Investissements PSP n’a pas accordé d’entrevue à Radio-Canada. Dans un courriel, la directrice principale des communications externes, Maria Constantinescu, renvoie la balle à Starlight Investments qui est responsable, dit-elle, de la gestion de l’immeuble.

Entre-temps, Tahmina Ahmed, elle, craint le pire.

Je pourrais me retrouver à la rue et je ne suis pas la seule dans cette situation, déplore Tahmina Ahmed.



Reference-ici.radio-canada.ca

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