Derrière les barrières, des employés tiennent à bout de bras des sacs qui contiennent un repas complet. Ce soir, c’est fricassée de saucisses, pommes de terre, légumes, pain banik, quelques collations et une bouteille d’eau. Café et chocolat chaud – à la guimauve ! – sont aussi proposés.
Ce sont nos sauveurs
, lance timidement Mary, une Inuk arrivée de Salluit il y a maintenant 20 ans. Sa famille, elle la retrouve ensuite à quelques pas de là, dans le couloir du métro Atwater. Ils sont quelques Inuit assis là, collés les uns aux autres, pour profiter de la chaleur corporelle du voisin.
Christina, originaire de Kuujjuaq, avoue ne pas aller très souvent à la tente. Ma famille, ce sont eux. On vit tous des choses difficiles. Mais il faut continuer
, lance-t-elle.
Cela fait déjà trois ans qu’elle a quitté un monde de violence familiale à Kuujjuaq. Elle y a laissé ses trois enfants. Mais elle les voit en on et off
, dit-elle.
Ses réponses sont brèves. Crues. Et son regard est empreint d’une profonde tristesse.
Dans la tente, on s’affaire à préparer l’accueil des bénéficiaires. La tente est ouverte tous les soirs dès 20 h et jusqu’au petit matin. Aucune distinction n’est faite entre les Autochtones et les non-Autochtones, même si l’endroit porte le nom de Raphaël André, un Innu retrouvé mort à Montréal.
Arnaud McKenzie, un Innu de Maliotenam
, comme il aime le préciser fièrement, travaille ici depuis deux mois. Quand j’ai fini ma journée, je me sens… léger. On est vraiment là pour eux autres. Je ne pensais pas que ça allait autant me valoriser. Ça fait du bien à mon âme
, lance-t-il avec le sourire.
Masqué, ganté, une tuque bien enfoncée sur la tête, il remplit mécaniquement et avec une efficacité sans faille les sacs. À côté de lui, un portrait de Raphaël André encadré.
Les boîtes de denrées et d’articles d’hygiène sont empilées derrière lui. Alexandra Ambroise, une autre Innue, gère la tente depuis son ouverture il y a maintenant un an. Au début je n’avais pas ces étagères. Maintenant, tout est bien organisé
, indique-t-elle en mimant un carré avec ses mains.
Le reste de la tente, bien chauffée grâce à deux génératrices, peut accueillir un peu plus d’une dizaine de personnes qui ont besoin de se réchauffer.
Sur de longues chaises rouges, reposent des couvertures flanquées du logo de la Croix-Rouge. Certains dorment ici. Mais beaucoup y font un bref passage et s’assoient le temps de grignoter un morceau.
Dehors, Jari Turcotte, le superviseur, tend des manteaux à un homme venu avec ses enfants. On nous a fait don de manteaux chauds et de chaussures. La première fois j’ai reçu 600 manteaux, ils sont partis en deux jours
, lance Mme Ambroise.
En 13 minutes à peine, les 100 sacs de repas complets préparés le jour même dans les locaux de l’organisme Résilience, sont partis. Mais Alexandra Ambroise a toujours un plan B pour les retardataires. Car il y en a. Certains préfèrent passer plus tard dans la nuit. Pour eux, elle aura toujours des collations, des bonbons…
En moyenne, tous les soirs, environ 300 personnes viennent demander quelque chose à la tente. Que ce soit un café, des serviettes hygiéniques, de l’eau ou juste un coucou. La plus grosse journée, c’était le 14 décembre. 611 personnes sont venues
, se souvient Alexandra Ambroise.
Annie, une Inuk de Salluit, vient ici tous les soirs boire son café. Le dos courbé sous le poids de son gros sac à dos turquoise, elle passe doucement la porte, sa tasse à la main. Elle s’assoit sur l’une des chaises rouges. Généralement de bonne humeur et causante, elle n’a pas envie de parler aujourd’hui. Ça arrive
, souffle Mme Ambroise.
Ce que viennent chercher ici les gens, c’est aussi une écoute. Une main sur l’épaule. Un regard doux et empathique. Alexandra Ambroise le sait. Certains ont besoin de parler, de raconter leur histoire, ça leur fait du bien
, dit-elle.
Et s’ils viennent ici c’est aussi pour l’accueil. Je l’ai toujours dit. C’est très important. C’est le premier contact qu’on a avec ces personnes : le regard, le sourire. On ne leur demande pas s’ils veulent manger, on leur dit “viens manger”. C’est ça qui fait toute la différence. Ils se sentent invités
, explique Mme Ambroise.
Un sentiment de sécurité règne aussi aux abords de la tente comme le décrit Jari Turcotte : on fait du bien dans le parc ici, depuis qu’on est là, les gens se sentent plus en sécurité et osent venir
.
Tout se déroule dans le calme et la bienveillance. Tout le monde attend son tour. Ceux qui se font réprimander pour avoir oublié de mettre leur masque avant de rentrer sortent un couvre-visage froissé de leur poche et l’enfilent sans broncher.
On accepte tout le monde, même si les gens sont intoxiqués. Ils savent maintenant qu’ils doivent bien se tenir quand ils viennent ici et on n’a jamais eu de problème
, indique Mme Ambroise.
L’ancienne policière n’a pas perdu ses réflexes pour autant. Tous les itinérants qui souhaitent rentrer dans la tente sont passés au détecteur de métaux. C’est pour la sécurité de tous, car certains peuvent avoir des couteaux ou des armes contondantes sur eux
, détaille-t-elle.
Soir après soir, même heure, même endroit. Le ballet reprendra. Jusqu’à quand? Pour le moment, jusqu’au 31 mars au moins.
Alexandra Ambroise, elle, prie pour gagner un mois de plus.
Reference-ici.radio-canada.ca