La haine déguisée en humour noir au procès d’un néonazi


Du nazisme partout, sans arrêt, jusqu’à ce que les rues de nos rues soient inondées par les larmes de nos ennemis, écrivait-il.

Le procureur Me Patrick Lafrenière l’a questionné afin de savoir s’il était conscient qu’une telle affirmation peut susciter de vives réactions chez des membres de la communauté juive.

« J’en étais conscient, mais ce serait une mauvaise interprétation de l’article, a répondu l’accusé. Si à chaque fois que j’écris une phrase, il fallait que je m’arrête à toutes les interprétations possibles, ce serait ridicule. »

— Une citation de  Gabriel Sohier

Pour Gabriel Sohier Chaput, le Daily Stormer est une publication humoristique qui a pour mission de désarmer la gauche. C’est comique, c’est une joke, a-t-il témoigné. Le Daily Stormer, c’est le nazisme ironique, qui dans le fond, n’est pas ironique. C’est comme le journal satirique américain The Onion. La présentation est presque identique à un journal légitime, mais c’est dans le contenu qu’on voit que c’est une satire. L’ambiguïté fait partie de la blague. Pour le Daily Stormer, s’il n’y avait pas d’ambiguïté, ça ne fonctionnerait pas. Personne n’en parlerait. Ça ne choquerait personne.

Interrogé sur le lectorat cible de la publication, celui qui se fait surnommer Zeiger a distingué deux groupes. « Il y a un public plus jeune qui maîtrise les codes d’Internet et qui comprend l’ironie, qui va apprécier et trouver ça divertissant. Et il y a ceux qui ne comprennent pas. Ils vont trouver ça bien terrible et réagir sur les réseaux sociaux. Le but du Daily Stormer, c’est de faire le bordel en faisant rire certaines personnes et en fâcher d’autres. »

Un homme et une femme marchent au palais de justice de Montréal.

Gabriel Sohier Chaput a témoigné au palais de justice de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Erika Morris

Pour l’accusé, les références au nazisme dans ses écrits ne sont que des hyperboles. Les nazis, des gens qui veulent l’extermination des Juifs, c’est une création d’Hollywood, a-t-il témoigné. Ça n’a pas de base réelle. Je n’en ai jamais rencontré. C’est une fantaisie sombre. L’Holocauste, c’est le mal suprême, c’est la vache sacrée. Si on veut abattre la rectitude politique, on doit toucher à l’antisémitisme. On ne devrait rien cacher sur la base de réactions émotionnelles. Tout devrait être discuté ouvertement.

Pour l’anthropologue et chercheur au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIRR), Frédérick Nadeau, l’humour et la culture du « mème » est un procédé fréquemment utilisé dans la sphère de l’alt-right.

L’ironie est une échappatoire pratique pour pouvoir nier des propos de manière plausible, dit-il, en marge du procès. Si un lecteur la prend trop au sérieux, c’est lui qui est ridicule.

« L’aspect ludique permet aussi de recruter chez les jeunes. L’humour subversif est très attractif. C’est aussi une façon de normaliser un discours radical pour désensibiliser la population. »

— Une citation de  Frédérick Nadeau, chercheur au CEFIRR

Un important contributeur

L’accusé a décrit ses premières interactions avec le fondateur de la publication, une des figures les plus importantes du néonazisme américain, Andrew Anglin, en 2016.

Je l’ai rencontré lors d’une entrevue que j’ai réalisée avec lui. Je voulais lui poser des questions sur Daily Stormer. Je trouvais ça étrange à l’époque. À la fin, il m’a demandé d’écrire pour lui.

M. Sohier Chaput est alors devenu un des plus importants contributeurs de la publication. Je lisais des nouvelles dans des sites conventionnels comme le New York Times, CNN, le Los Angeles Times ou des médias locaux, a-t-il dit. Lorsque je trouvais des articles que je trouvais loufoques ou intéressants, j’ajoutais des notes et je faisais une soumission à Andrew. Il les modifiait, ajoutait des images pour les rendre plus ludiques et les publiait, ou pas.

L’homme de 35 ans a admis y avoir publié entre 800 et 1000 articles, payés 14,88 $ US la pièce. Me Lafrenière l’a d’ailleurs questionné sur la signification des chiffres 14 et 88. Pour les suprémacistes blancs, le 14 renvoie au slogan à 14 mots du néonazi David Lane (Nous devons préserver l’existence de notre peuple et l’avenir des enfants blancs) et le 88 aux premières lettres de Heil Hitler. L’accusé a répondu qu’il n’en avait pas connaissance, même si ces chiffres se retrouvent directement dans l’article débattu en cour.

Gabriel Sohier Chaput attribue à M. Anglin la paternité de certains des passages les plus antisémites du texte déposé en preuve.

« Mon style est plus fleuri et imagé, a-t-il dit. Je fais plus de référence à la fantaisie et à la science-fiction. Son style est plus cru. »

— Une citation de  Gabriel Sohier

De 2016 à 2017, l’accusé publiait alors de manière anonyme sur le site du Daily Stormer. Il a été démasqué en mai 2018 grâce au travail conjoint du journal The Gazette (Nouvelle fenêtre) et des militants de Montréal antifasciste (Nouvelle fenêtre). Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui en novembre 2018, à la suite d’une plainte déposée par l’organisation juive B’nai Brith.

La peine maximale pour avoir fomenté la haine contre un groupe identifiable est de deux ans de prison.

Le procès fait relâche pour deux jours et la plaidoirie est prévue pour vendredi matin au palais de justice de Montréal.



Reference-ici.radio-canada.ca

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