Fin du masque obligatoire, une bataille entre politique et santé publique


C’est ainsi que le bioéthicien Maxwell Smith résume le choix de société auquel fait face l’Ontario, comme bien d’autres régions aux profils vaccinaux semblables. Selon lui, l’enjeu de l’allègement des restrictions revient à se questionner sur le nombre de décès que nous sommes prêts collectivement à tolérer ou à accepter.

Et ce n’est pas une question que la science peut résoudre, complète-t-il.

Après avoir participé au Groupe consultatif scientifique ontarien de lutte contre la COVID-19 pour les enjeux éthiques, M. Smith se fait ouvertement critique à l’encontre du gouvernement Ford. Les politiciens sont visiblement arrivés à un stade où c’est acceptable d’assumer un niveau de risque, dit-il.

« Cela reflète l’opinion des décideurs et certainement d’une partie du public, mais pas l’opinion de tout le monde, notamment des plus vulnérables. »

— Une citation de  Maxwell Smith, bioéthicien et professeur adjoint à l’Université Western

Sans surprise, c’est l’histoire des maladies infectieuses qui se répète, fait remarquer le bioéthicien qui a également conseillé l’Organisation mondiale de la santé : Dès que la majorité des personnes favorisées ne courent plus un grand risque, elles ne sont plus intéressées par la mise en place de mesures pour l’ensemble de la société.

La fin des restrictions divise jusqu’au corps médical lui-même. Le Dr Jerome Leis, directeur de la prévention des infections à l’Hôpital Sunnybrook, juge qu’il est tout à fait approprié d’assouplir les mesures sanitaires en ce moment étant donné tous les indicateurs qui sont favorables, même s’il continue de préconiser le port du masque, en particulier depuis l’apparition du sous-variant BA.2 d’Omicron.

Selon les récentes projections de la santé publique du Canada, la levée des restrictions sanitaires pourrait mener à une recrudescence des cas au mois de mars et à une vague potentiellement plus élevée qu’en janvier avec néanmoins des hospitalisations quotidiennes moindres.

« Des mesures assez faciles comme le masque, ça peut avoir un effet important pour essayer de réduire l’impact d’Omicron d’ici l’été. »

— Une citation de  Dr Jerome Leis, directeur de la prévention des infections à l’Hôpital Sunnybrook de Toronto

Prudent lui aussi, le Dr Hugues Loemba met en garde contre un relâchement trop précoce des mesures sanitaires en citant le Danemark qui a levé toutes ses restrictions anti-COVID malgré des cas record et des hospitalisations en hausse.

En Ontario aussi, dit-il, on semble aller un peu plus vite que les exigences de santé publique [en privilégiant] les critères économiques et de santé mentale, en oubliant que le virus n’est jamais loin et peut nous revenir.

Le virologue rattaché à l’Hôpital Montfort et professeur à l’Université d’Ottawa ne cache pas ses inquiétudes sur la fin annoncée du passeport vaccinal. Couplé au délaissement du masque, cela pourrait créer des environnements à forte contagiosité si des personnes non vaccinées en côtoyaient d’autres sans masque.

« On doit essayer de pondérer notre velléité à revenir à la vie normale comme elle était avant. »

— Une citation de  Dr Hugues Loemba, virologue et chercheur à l’Hôpital Montfort
Doug Ford et Kieran Moore en conférence de presse.

Le premier ministre Doug Ford assure que ses décisions reposent sur les recommandations du médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, le Dr Kieran Moore.

Photo : La Presse canadienne / Chris Young

Toute l’ampleur cornélienne des décisions sanitaires à prendre se reflète dans la communication au sommet du pouvoir décisionnel.

Dans un élan de spontanéité, le premier ministre de l’Ontario a reconnu qu’il maudissait le masque, avant de se reprendre trois jours plus tard en assurant qu’il se pliera tout de même aux recommandations de son médecin hygiéniste en chef pour mettre un terme au masque obligatoire.

C’est un jeu de ping-pong entre le discours scientifique et le discours politique, résume Carol-Ann Rouillard, docteure en communication sociale et chargée de cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. D’un côté, les agences de santé publique orientent leur message à partir des statistiques et des projections épidémiologiques, explique-t-elle, et de l’autre, le gouvernement élu sur un programme considère les prochaines élections quand il s’exprime.

Entre les deux, il existera toujours la stratégie du ballon d’essai qui consiste à lancer un message pour en sonder la popularité. Le risque? Semer une certaine confusion et voir la confiance de la population s’effriter, explique la chercheuse.

Vendredi, la rhétorique du premier ministre ontarien semble plutôt s’être rabattue sur la stratégie du en même temps consistant à jouer sur deux tableaux a priori antagonistes.

Je vais continuer à être prudent, a assuré Doug Ford, mais nous devons avancer, revenir à la normale, retrouver nos vies normales aussi et c’est ce que je vais faire… Je vais encore suivre les conseils du Dr Moore.

Avec les informations de Michel Bolduc



Reference-ici.radio-canada.ca

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