Espionnage à Sorel-Tracy : le maire explique pourquoi il a caché un micro


Radio-Canada a obtenu de différentes sources des détails sur cette affaire qui secoue les fonctionnaires et les élus et sur laquelle la Sûreté du Québec a ouvert une enquête.

Nous avons notamment appris que le maire a avoué être l’auteur des enregistrements et que ceux-ci durent depuis au moins un an. Il a affirmé avoir eu des motifs réels et sérieux d’agir ainsi.

Tout le monde est sous le choc, témoigne un fonctionnaire. Le climat de travail est détruit, ajoute un élu.

Ni les employés ni les conseillers ne sont autorisés à s’exprimer sur ce dossier en raison des enquêtes en cours et de la probable judiciarisation du dossier. Mais ils sont plusieurs à se demander s’ils ont eux aussi fait l’objet d’écoutes.

Selon une source bien au fait de l’enquête, seul le greffier René Chevalier a été espionné. Le maire avait couché une petite webcam sur une étagère de son bureau, pour n’en utiliser que le micro.

Serge Péloquin avait pour objectif de récolter des preuves pour étayer ses allégations à l’égard du greffier. Ce dernier a été suspendu pour 30 jours par le maire, la semaine dernière.

Une carte montre l'emplacement de Sorel-Tracy.

Sorel-Tracy compte 35 000 résidents.

Photo : Radio-Canada

Serge Péloquin n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue, étant donné que le 2 mai, il doit faire rapport au conseil municipal et déposer publiquement les motifs de la suspension du greffier.

Lundi soir, il a expliqué aux élus qu’il soupçonnait un manque de loyauté et d’éthique de la part du haut fonctionnaire. Il allègue qu’il n’aurait pas respecté son devoir de réserve et de confidentialité.

Depuis des années, il semble que les conversations de l’un et de l’autre pouvaient être entendues à travers le mur mitoyen. Le maire aurait averti le greffier de cesser les commentaires à son égard, mais sans succès.

L’enregistrement des conversations du greffier ne se serait pas fait en continu, mais de façon sélective et occasionnelle, quand les paroles qui déplaisaient au maire étaient entendues à travers le mur.

Trois enquêtes en cours

La Commission municipale du Québec a déjà débuté son enquête et doit se rendre à l’Hôtel de Ville, ce mardi, pour interroger le maire.

Le Service des enquêtes sur les crimes majeurs de la Sûreté du Québec se penche également sur l’affaire, à la suite d’une plainte contre le maire.

« Les circonstances entourant l’événement seront analysées pour déterminer s’il y a eu infraction criminelle ou non. »

— Une citation de  Le sergent Stéphane Tremblay, porte-parole de la Sûreté du Québec

Par ailleurs, le directeur général de la Ville a ouvert une enquête interne pour déterminer, notamment, qui était au courant de cet espionnage. Selon nos sources, le DG est choqué de la situation et craint une perte de confiance généralisée des employés envers le maire.

Le directeur général de la Ville a informé le conseil municipal qu’un appareil permettant d’effectuer de l’écoute électronique avait été découvert dissimulé dans le bureau d’un employé-cadre, se contente de confirmer le porte-parole de la municipalité, Dominic Brassard. Une enquête interne est effectuée par la direction générale pour déterminer les motivations ayant mené à cette action.

Des écoutes alors que le greffier agissait comme président des élections?

Selon nos sources, l’enregistrement dans le bureau du greffier durait depuis au moins un an. De l’écoute aurait donc été possible durant la dernière élection municipale, lors de laquelle le greffier agissait comme président des élections.

Des élus s’inquiètent, car ils se rendaient dans le bureau du greffier pour enregistrer leur candidature et ils pourraient avoir eu des échanges défavorables au maire.

Plusieurs sujets de contentieux existaient entre les deux hommes. Dans les dernières années, le maire a reproché au greffier d’avoir omis de déclarer son conflit d’intérêts lorsque son gendre a obtenu le contrat de service technique pour filmer les séances du conseil municipal. Le contrat a été résilié et c’est finalement le fils du maire qui a remporté l’appel d’offres.

Un espionnage légal ou illégal?

Le maire Péloquin a fait valoir aux élus que ce même article 52 lui donnait le droit de mener ces enregistrements clandestins.

« Le maire exerce le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur tous les départements et les fonctionnaires ou employés de la municipalité. »

— Une citation de  Extrait de l’article 52 de la Loi sur les cités et villes

Un employeur a le droit de surveiller électroniquement ses employés, dans certaines circonstances.

Comme il s’agit d’une atteinte à la vie privée, le motif de la surveillance doit être bien fondé, expliquait l’avocate France Rivard, conseillère juridique à la Société québécoise d’information juridique, dans une entrevue accordée à Radio-Canada en 2017.

« L’employeur doit avoir un motif raisonnable, un motif sérieux. En installant un processus de surveillance, son but doit être légitime. Il doit prouver que la mesure mise en place est nécessaire. »

— Une citation de  Me France Rivard, conseillère juridique à la Société québécoise d’information juridique dans une entrevue accordée à Radio-Canada en 2017

Des avocats spécialisés en droit du travail et en droit municipal, que nous avons consultés, doutent que des enjeux de loyauté soient des motifs raisonnables pour espionner un employé. Ils évoquent plutôt des cas graves de fraude ou de vol.

Selon l’interprétation du professeur de droit de l’Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau, l’article 52 permet au maire de poser des questions à un fonctionnaire, d’avoir accès à des renseignements et non pas de produire de nouveaux renseignements par de l’écoute électronique. C’est assez inusité dans ce cas-ci.

« Le motif doit être raisonnable. Ce doit être dans l’intérêt de la municipalité et non pas à des fins personnelles. »

— Une citation de  Guillaume Rousseau, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke

Il y a une proportionnalité à respecter, ajoute le professeur. Pour schématiser, le maire devra démontrer qu’il n’a pas utilisé un canon pour tuer une mouche. S’il commet un abus, s’il porte atteinte aux droits de la personne qui est surveillée, comme le respect de la vie privée, il est sujet à être poursuivi pour dommages et intérêts.

La ministre Andrée Laforest surveille le dossier

À Québec, le bureau de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation Andrée Laforest affirme être très attentif à la situation actuelle à Sorel-Tracy.

« Si la Commission municipale du Québec estime qu’une intervention rapide est nécessaire, et ce, avant même la fin de sa présente enquête, ne serait-ce que pour le bon déroulement des activités municipales, une recommandation en ce sens nous sera faite. Le cas échéant, nous n’hésiterons pas à y donner suite. »

— Une citation de  Bénédicte Trottier Lavoie, attachée de presse de la ministre des Affaires municipales du Québec

Le dossier est entre les mains de la nouvelle Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale, mise en place le 1er avril pour traiter des divulgations d’actes répréhensibles dans le milieu municipal

À l’Union des municipalités du Québec (UMQ), dont Serge Péloquin est membre de la Commission de la formation, on choisit de ne pas réagir, pour le moment, considérant les enquêtes en cours.

On préfère ne pas commenter la situation d’espionnage à l’hôtel de ville de Sorel-Tracy, dit le porte-parole de l’UMQ, Patrick Lemieux.



Reference-ici.radio-canada.ca

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