En France, un nouveau collectif veut protéger l’intégrité de l’élection présidentielle



Cette spécialiste, Iris Boyer, la secrétaire générale de la branche française de l’Institut pour le dialogue stratégique, fait partie d’une dizaine d’organisations regroupées sous l’égide de Reset, un mouvement qui dit vouloir changer la façon dont Internet priorise la dissémination de nouvelles et d’informations, pour que le modèle d’affaires des géants de la technologie serve l’intérêt public, plutôt que de purs intérêts corporatistes.

Dans le cadre de leur travail, les experts de ce groupe de veille analysent les informations (et surtout la désinformation) qui circulent sur le web français, dans le but de dénicher des tendances qui pourraient saper la légitimité des scrutins à venir.

Pour Mme Boyer, le fait est que nous avons eu des exemples précédents, dans différents pays, et qu’à chaque fois, ces tentatives d’influencer le scrutin prennent des formes vraiment différentes qui évoluent rapidement – on peut avoir parfois des campagnes très coordonnées, avec la création d’acteurs non authentiques, mais aussi l’utilisation massive de comptes authentiques, mais coordonnés autour d’un même objectif… On a également vu des problématiques liées aux publicités en ligne, dont on n’a pas nécessairement la même compréhension.

Toujours selon Mme Boyer, il est donc nécessaire d’exposer sur la place publique d’éventuelles tentatives de mettre en danger l’intégrité du scrutin présidentiel.

C’est important que cela ne vienne pas directement des autorités de réglementation, du gouvernement, ou encore des plateformes, pour qu’il y ait un équilibre des acteurs qui observent ces phénomènes.

Une nouvelle norme

Pour Théophile Lenoir, consultant pour Reset, les campagnes de manipulation de l’information en ligne sont un peu devenues une norme. Le fait qu’ils existaient en 2016 (lors de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, NDLR), et en 2017 (au cours de la précédente présidentielle française, où des courriels de l’équipe d’Emmanuel Macron ont été piratés, NDLR), et qu’ils aient été identifiés et réglés ou non par la suite, c’est une chose, mais aujourd’hui, ces enjeux sont assez récurrents, ajoute-t-il, avant de souligner qu’à chaque élection, il y a à nouveau ce besoin de faire une veille.

De fait,  l’évolution des méthodes  employées par les acteurs mal intentionnés justifie elle aussi une veille entretenue, poursuit M. Lenoir.

La présidentielle française se déroule par ailleurs dans un contexte particulier, soulignent les deux spécialistes, puisque l’élection va se produire au sortir d’une période très mouvementée, avec des questions de pass sanitaire, avec des enjeux de désinformation qui se sont surtout centrés autour de ces débats-là, ces derniers mois, et qui ont ensuite transitionné vers une situation géopolitique qui a phagocyté les débats.

On n’a pas encore eu l’occasion de dire qu’il y a une campagne de désinformation massive gérée par ce type d’acteur, qui menace l’intégrité du processus électoral, parce qu’en fait, les frontières entre les débats sur la présidentielle, les débats sur la géopolitique, et les débats sur le pass vaccinal sont assez floues, précise M. Lenoir, qui souligne que le groupe se doit de faire un travail de catégorisation en amont pour faciliter ses recherches.

Comme ailleurs dans le monde, les tentatives de désinformation menées dans l’Hexagone ont muté pour s’adapter aux enjeux du moment. De la mobilisation des gilets jaunes, qui a suscité sont lot de mensonges et d’informations trompeuses, on est ainsi passé aux questions concernant la pandémie, pour ensuite se transformer de nouveau au moment où les troupes russes ont envahi l’Ukraine.

À travers cela, les élections s’inscrivent dans un grand contexte de défiance envers les autorités, et c’est aussi pour cela que nous pensons qu’il est important d’effectuer cette veille, ajoute Mme Boyer.

Nous ne souhaitons pas nous substituer aux organismes de contrôle, comme la Commission électorale; nous voulons plutôt rassembler des acteurs qui observent ces phénomènes d’un point de vue de la société civile pour mieux comprendre comment ils évoluent dans le temps, comment ils peuvent prendre des formes différentes selon les acteurs, selon les événements, précise la chercheuse.

Détecter, mais ne pas amplifier

Le groupe de recherche devra aussi jouer à l’équilibriste : s’il doit remplir une double mission, c’est-à-dire alerter le public en cas de détection d’une campagne de désinformation électorale de masse, par exemple, tout en exerçant une veille à des fins d’études, le regroupement aura aussi pour tâche de ne pas amplifier des phénomènes qui demeurent, pour l’instant, confinés aux franges de la société civile, explique Mme Boyer.

Pourtant, déjà, des méthodes employées en 2020 aux États-Unis font surface en France. Ainsi, plusieurs médias ont pu prouver que la société Dominion, propriétaire de machines électorales utilisée au pays de l’Oncle Sam et faussement accusée d’avoir truqué les résultats en faveur de Joe Biden, n’avait pas été mandatée par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, pour organiser le vote lors de la présidentielle.

La rumeur est démentie, oui, mais elle continue de circuler en ligne, et de contribuer à semer le doute chez une partie des électeurs français.

Mme Boyer se veut toutefois rassurante : pour l’instant, ces rumeurs demeurent marginales, du moins dans un espace numérique; ce qui nous inquiète plus, c’est lorsqu’elles sont reprises par de gros porte-voix et des candidats politiques, qui utilisent volontairement des termes proches de la rhétorique de la fraude électorale, comme la confiscation de l’élection, par exemple.

Des institutions mises à mal

Derrière toutes ces fausses rumeurs, des gilets jaunes à la soi-disant fraude électorale à venir, en passant par la COVID-19 et la propagande pro-Kremlin, se cache un phénomène central, explique encore Mme Boyer : la méfiance généralisée envers les institutions.

Pour elle, chaque groupe se trouvant au cœur des grands moments de l’actualité des dernières années est une cible pour les acteurs qui diffusent ces messages, et qui savent très bien utiliser ces communautés.

Ce que nous voyons actuellement, c’est que l’écosystème d’extrême droite en ligne, en France, s’est peut-être un peu affaibli avec la guerre en Ukraine; dans leurs tactiques, ces acteurs tentent d’exister par d’autres moyens, notamment la reprise, à leur compte, de la mobilisation autour de certains événements, etc.

Et comme nous entrons maintenant dans des semaines où l’on se concentre particulièrement sur la campagne électorale, on voit que les acteurs d’extrême droite se sont coalisés autour de certaines affaires, certains scandales liés à des candidats en particulier, poursuit-elle.

Parmi les phénomènes inquiétants constatés par Mme Boyer et ses collègues du groupe de veille, on note la création de groupes de contrôle du scrutin, qui se présentent comme des associations issues de la société civile, et qui poussent les personnes à aller elles-mêmes vérifier la sincérité du scrutin.

Et quand on s’intéresse un peu plus aux personnes qui pilotent ces groupes, on voit rapidement que ce sont des porte-voix soit du mouvement des gilets jaunes, soit du mouvement contre les mesures sanitaires, ou encore des proches de Dieudonné, par exemple, qui ont déjà été accusés de crimes…, ajoute la chercheuse.

Que doit-on craindre?

Pour comprendre ce qui est en jeu, dans un contexte de désinformation, Théophile Lenoir affirme que la division politique et sociale, en France, ne s’articule pas sur l’axe gauche-droite, comme aux États-Unis, mais plutôt selon l’axe institutionnel et hors-institutionnel.

Le décrochage, il est là : il peut y avoir une méfiance systématique envers le fonctionnement et la légitimité des institutions. Et ce phénomène existe aussi à l’extérieur de l’élection. Il n’est pas possible de dire si cela se terminera avec des gens dans la rue, il y a quand même un risque de discréditer la légitimité des élections, et cela pourrait avoir des conséquences dans les jours suivant le scrutin, mais aussi à beaucoup plus long terme.



Reference-ici.radio-canada.ca

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