Délais judiciaires au Nunavik : recours collectif de 294 millions $



Quand un individu est arrêté au Nunavik et que l’État entend le détenir dans l’attente de son procès, l’individu est extirpé de sa communauté pour être déporté et détenu provisoirement dans le sud (à Amos), afin d’y tenir son enquête sur remise en liberté. Cette déportation peut se prolonger sur des semaines, de sorte que la Règle des trois jours est systématiquement violée sur ce territoire peut-on lire dans les documents déposés en Cour supérieure. (Nouvelle fenêtre)

Pour Michael Carrier, pour qui la demande de recours collectif contre l’État a été accordée récemment, la période s’est étirée sur dix jours. Arrêté le 5 juillet 2018 à Kangirsuk, sa comparution téléphonique a duré 2 minutes et l’État s’est opposé à sa remise en liberté. Son audience a alors été prévue pour le 10 juillet à Amos.

Pour s’y rendre, il devra prendre, menottes aux pieds et aux mains, un avion pour Kuujjuaq, puis un autre pour Montréal, avant d’être incarcéré à Saint-Jérôme, d’où il sera transporté en fourgon cellulaire sur 500 km, jusqu’à Amos. Il sera finalement libéré le 13 juillet, mais aura besoin de deux autres journées pour rejoindre sa communauté et revoir ses deux jeunes fils. Entre-temps, il aura subi six fouilles à nu et n’aura jamais eu d’enquête sur remise en liberté, déplorent les avocats derrière la demande de recours collectif.

Des centaines de cas similaires

À la suite d’une demande d’accès à l’information, ces derniers ont obtenu des documents auprès du ministère de la Justice et calculé que sur les 3748 dossiers de 1500 individus enregistrés entre 2015 et 2019, le délai des trois jours a été dépassé dans 97,55 % des cas.

Les avocats du demandeur soulignent aussi que la tentation peut-être plus forte chez les prévenus de plaider coupable, afin de s’éviter les inconvénients d’une détention préventive prolongée et les déplacements difficiles qui vont avec.

« L’État, qui compile lui-même ces données, était parfaitement au courant de la violation systématique de la règle des trois jours au Nunavik et savait nécessairement que les membres du Groupe étaient presque tous Inuit. Il n’a néanmoins rien fait pour remédier à la violation des droits fondamentaux de milliers de Nunavimmiut pendant des décennies. »

— Une citation de  Extrait de la demande de recours collectif

Même si des juges, la commission Viens et la protectrice du citoyen ont soulevé la problématique à plusieurs reprises ces dernières années, il aura fallu attendre 2019 pour qu’un système de visioconférence soit finalement implanté et que les enquêtes sur remise en liberté se tiennent au Nunavik.

Mais pour les avocats du demandeur, c’est arrivé bien tard. Ils affirment donc que la conduite illicite, intentionnelle et malveillante de l’État doit être sanctionnée par l’octroi de dommages punitifs.

Une compensation de 10 000 $ pour chaque journée de détention excédant les trois jours francs est demandée. Dans le cas de M. Carrier, cela représente 50 000 $, mais extrapolée aux 3656 dossiers de personnes ayant possiblement vécu des délais similaires, cela totaliserait 219 millions $, ont calculé les avocats au dossier. À cela, ils ajoutent 75 millions $ de dommages punitifs (50 000 $ par personne) pour un total de 294 millions $.

Me Victor Chauvelot, l’un des avocats qui pilotent le recours collectif, souligne que la Convention de la Baie-James, signée en 1975, prévoyait déjà à l’époque des mécanismes tels que la construction d’un centre de détention pour éviter que les détenus aient à être transportés vers le Sud, mais que cela n’a jamais été fait.

Dès que le tribunal sera en mesure de nous entendre, nous aimerions que le procès se tienne rapidement, idéalement dans la prochaine année, a-t-il confié à Espaces Autochtones.

« Par respect pour le processus judiciaire en cours, nous n’émettrons pas de commentaire », a indiqué le ministère de la Justice par courriel.



Reference-ici.radio-canada.ca

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