Une ville sans itinérants, le rêve fragile de Medicine Hat


Wayne Kleinschroth, 56 ans, échange quelques blagues avec ses amis en attendant son repas du soir, offert par l’Armée du Salut.

Après un divorce et une crise cardiaque, ce charpentier s’est retrouvé à la rue pendant six ans. Grâce à un programme de la Société du logement de Medicine Hat, il réussit à obtenir une allocation. J’étais heureux ce jour-là.

Il a un toit depuis plus de deux ans maintenant et se s’estime chanceux. Le programme paie 420 $ de son loyer et, lui, rajoute le reste : 330 $ d’allocations qu’il reçoit du gouvernement albertain.

Je me suis trouvé un appartement en seulement deux jours, avoue-t-il. Mais tout le monde n’a pas droit à ce programme. Ceux qui n’ont aucun revenu restent à la rue.

Lorsque Wayne Kleinschroth entend dire que Medicine Hat est la ville sans itinérants, il rit et assure le contraire : Je connais encore beaucoup trop de personnes sans abri. Les responsables sont détachés de la réalité.

Un itinérant dans la rue.

En 2021, environ 70 personnes étaient sans-abri à Medicine Hat.

Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu

Comme partout au Canada, il suffit de marcher dans le centre-ville pour croiser des sans-abri. Ari Warhaft, barista au Station Coffee Company, travaille dans ce quartier depuis sept ans. La Ville fait tout ce qu’elle peut pour les aider, mais il y a encore des itinérants, juge-t-il.

La solution qui marche

En 2009, Medicine Hat devient la première ville canadienne à s’engager pour mettre fin à l’itinérance alors que 1147 personnes fréquentent les refuges, soit 2 % de la population. 

À l’époque, nous ne savions même pas combien d’itinérants il y avait, se rappelle Jaime Rogers, porte-parole de la Société du logement.

Des relevés sur le terrain commencent alors. Il fallait aller à leur rencontre pour comprendre leurs besoins, explique Tim Richter, président de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance (ACMFI).

Jaime Rogers lors d'une réunion à Medicine Hat.

Jaime Rogers est responsable du département Itinérance et Logement pour la Société du logement de Medicine Hat.

Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu

Six ans plus tard, la Société du logement assure que personne ne reste dans ses rues plus de 10 jours. En juin dernier, l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérancecouronne Medicine Hat comme la première ville à mettre fin à l’itinérance de longue durée, c’est-à-dire quand un individu passe au moins six mois sans un toit sur une année.

La méthode est simple : au lieu d’attendre de soigner les problèmes de dépendance ou de santé mentale pour leur trouver un logement, chaque sans-abri qui le souhaite reçoit de l’aide pour payer un loyer dans un logement abordable. Il sera ensuite plus apte à régler ses dépendances.

Les portes et fenêtres d'un motel de Medicine Hat.

Certains itinérants se logent dans les motels de la ville grâce à l’argent reçu par la Société du logement.

Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu

La décision est sociale, mais aussi économique, comme le rappelait Ted Clugston, le maire en 2015 : Chaque sans-abri coûte aux contribuables 100 000 $ par an. Donner un logement ne coûte que 22 000 $ par an.

Depuis 2009, plus de 1600 itinérants ont été logés grâce au programme Un logement d’abord de Medicine Hat. La fréquentation des refuges a diminué de moitié. La population itinérante passe moins de jours à l’hôpital et moins de temps en prison.

C’est un exemple à suivre. Medicine Hat a réussi à s’organiser pour offrir un choix aux gens et à récolter des statistiques pour réagir vite en fonction de l’évolution de la situation. Le défi va être de maintenir cette situation sur la durée, explique Tim Richter.

Cet expert travaille actuellement avec 33 Villes, notamment Moncton qui a vu une baisse de 10 % de son nombre d’itinérants chroniques grâce au modèle de Medicine Hat, selon lui.

Mais, depuis peu, la pression augmente. Tim Richter observe une hausse des itinérants dans une grande partie des municipalités.

De nouveaux itinérants

Même à Medicine Hat, Jaime Rogers consent que la situation empire depuis deux mois. Les causes sont multiples, selon elle, les pertes d’emploi et l’isolement liés à la pandémie, la crise des opioïdes qui frappe l’Alberta et un gros manque de logements à louer.

Nous voyons de nouvelles personnes devenir itinérantes et nos refuges sont pleins, dit-elle. Les solutions du passé doivent être adaptées.

Des rues du centre-ville de Medicine Hat.

Les itinérants se concentrent dans le centre-ville de Medicine Hat la journée.

Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu

Les nouveaux angles d’attaque doivent être d’investir plus dans les services pour soigner les troubles de santé mentale et, surtout, construire de nouveaux logements sociaux.

Nous avons obtenu d’aussi bons résultats par le passé, car nous avions des logements disponibles. Ce n’est plus le cas, explique Jaime Rogers.

Selon la Ville, la population a grandi plus vite que le nombre de logements. Les loyers libres sont trop chers et le taux d’inoccupation, à 3,8 %, est trop bas.

Il manque 2500 appartements pour les faibles revenus, lit-on dans un rapport de 2020.

Il faut que les gouvernements investissent plus dans les logements sociaux. Il en faudrait 350 000 nouveaux au niveau national, estime Tim Richter.

Ceux qui n’ont pas de toit

Norberto Tovar, lui, vit une autre réalité. Je gâche mon temps. Il y a tellement d’opportunités, dit-il assis sur un banc.

Norberto Tovar sur un banc.

Tous les jours, Norberto Tovar regarde les petites annonces pour trouver un travail.

Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu

À 52 ans, il est tombé dans les failles du système. Originaire du Venezuela, ce résident permanent est sans abri depuis sept mois à Medicine Hat. 

Congédié par son dernier employeur, Norberto Tovar ne peut bénéficier d’aucune prestation financière et ses recherches d’emploi ne mènent nulle part. Il ne peut donc pas recevoir une aide financière de la Société du logement.

Je dois me débrouiller pour trouver un travail à tout prix. Je suis sûr que je peux y arriver, pense-t-il. Ce jour-là, sans lieu pour dormir, il a passé sa nuit à faire du vélo dans la ville.



Reference-ici.radio-canada.ca

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