Pourquoi sauver le caribou forestier?


Nous l’avons rencontré dans le parc des Grands-Jardins, où le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a fait construire un enclos de 20 hectares, au coût de 1,6 million de dollars, pour les quelques survivants de la harde isolée de Charlevoix.

Portrait de Serge Couturier.

Serge Couturier, biologiste et expert du caribou

Photo : Radio-Canada

Cette population de caribou a été décimée au fil des décennies, en grande partie par l’exploitation forestière intense dans ce secteur. Les centaines de kilomètres de voie d’accès créés durant ces activités ont aussi avantagé les prédateurs du caribou, comme le loup et l’ours noir.

Il y a eu Val-d’Or, et maintenant c’est Charlevoix. Il y a un dangereux précédent qui est en train de s’établir. C’est un peu retirer une espèce qui dérange, entre guillemets, l’industrie forestière, précise Serge Couturier.

« Est-ce que c’est éthiquement raisonnable d’enlever une espèce menacée de son habitat naturel parce qu’elle dérange l’économie? »

— Une citation de  Serge Couturier, biologiste, expert du caribou
Des clôtures de broche.

Des clôtures pour protéger les caribous dans Charlevoix.

Photo : Radio-Canada

Une espèce parapluie

D’après le biologiste Martin-Hugues Saint-Laurent de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), le caribou est un canari dans la mine si on regarde les hardes isolées de Charlevoix, Val-d’Or et Gaspésie.

« Ce qu’on voit survenir présentement pour le caribou de Charlevoix, par exemple, c’est ce qui nous guette dans 15 ou 20 ans pour d’autres populations de caribous. »

— Une citation de  Martin-Hugues Saint-Laurent, biologiste, Université du Québec à Rimouski
Portrait de Martin-Hugues Saint-Laurent.

Martin-Hugues Saint-Laurent, expert en écologie animale, à l’UQAR

Photo : Radio-Canada

Le biologiste explique que des dizaines d’autres espèces, qui ne suscitent pas la même attention que le caribou, ont aussi besoin de vieilles forêts, un habitat naturel vital pour tous ces animaux fauniques. Présentement, souligne le chercheur, on a de moins en moins de temps. Quand on a moins de 50 individus dans un secteur, on commence à avoir des enjeux génétiques importants.

« En termes de ressources fauniques, ce sont des perles! »

— Une citation de  Serge Couturier, biologiste, expert des hardes isolées de caribous
Un caribou forestier dans une forêt québécoise.

Les caribous qui subsistent au sein des hardes isolées du sud du Québec sont des perles écologiques, selon des chercheurs.

Photo : Courtoisie Bureau du forestier en chef

Le biologiste Serge Couturier estime que les petits troupeaux isolés de caribous qui ont survécu, pendant que le reste de leur population déclinait, sont de meilleurs individus.

Selon lui, la faune a toujours été le parent pauvre, dans les gros portefeuilles, comme celui du ministère actuel des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Selon les derniers relevés, il y aurait 16 caribous en enclos de protection dans Charlevoix, sept dans celui de Val-d’Or, et un peu plus d’une trentaine en Gaspésie, où des coupes forestières y sont encore autorisées.

Les experts estiment à moins de 20 % les chances de survie de ces populations isolées de caribous. Il faut décréter un moratoire sur l’exploitation forestière dans les zones les plus sensibles de l’aire de survie du caribou, explique Martin-Hugues Saint-Laurent, pour rétablir au plus vite son habitat naturel. Ça, ça signifie maintenir des massifs de forêts peu perturbés, de forêts intactes, de vieilles forêts. La même ressource que le caribou et l’industrie forestière recherchent!

En 2002, le caribou forestier a été désigné au Canada comme espèce menacée. Trois ans plus tard, c’était au tour du Québec de le reconnaître en tant qu’espèce vulnérable. La harde isolée de l’écotype montagnard sur les hauts plateaux gaspésiens a même été reconnue en voie de disparition par la Loi fédérale sur les espèces en péril.

« Ce n’est pas pour rien que les scientifiques, les groupes écologistes, mais aussi des communautés autochtones, exigent un examen des lois provinciale et fédérale qui sont supposées protéger le caribou, notamment sur des territoires où vivent les Premières Nations qui nous ont précédés. »

— Une citation de  Martin-Hugues Saint-Laurent, biologiste, Université du Québec à Rimouski
Un groupe de caribous forestiers.

Une harde de caribous forestiers

Photo : Radio-Canada / Archives

Un trésor culturel

À Val-d’Or, où les sept survivants vivent en enclos de protection depuis deux ans, la cheffe de la Nation Anichinabée de Lac-Simon Adrienne Jérôme se désole de ce qui est arrivé aux caribous sur le territoire de sa communauté. Ils [le MFFP] coupent la connexion du caribou avec le territoire, s’insurge la cheffe Jérôme. On va finir par le domestiquer, mais ce n’est pas ça, la nature!

Portrait d'Adrienne Jérôme.

Adrienne Jérôme, cheffe de la Nation Anichinabée de Lac-Simon

Photo : Radio-Canada

L’exploitation forestière intense des dernières décennies a fait décliner la population sur au moins trois territoires ancestraux de la communauté. Les coupes se poursuivent toujours dans certaines zones de l’habitat du cervidé, nous explique la cheffe Jérôme : C’est très triste de voir qu’il n’y a pas d’écoute, qu’il n’y a pas de relation.

Nos aînés, raconte-t-elle, nous disaient qu’il y avait beaucoup de caribous ici avant. Le caribou faisait partie de notre vie, il nous a sauvé la vie, et aussi la vie de nos ancêtres. On doit honneur à cet animal!

L’inaction et l’absence de consultation en matière de protection du caribou et de son habitat mettent à rude épreuve la patience de plusieurs communautés autochtones au Québec. Déjà, deux communautés innues, celles d’Essipit, sur la Côte-Nord, et de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, ont déposé une requête en Cour supérieure contre le gouvernement du Québec.

Pour ce qui est de la communauté anichinabée du Lac-​Simon, le conseil de bande songe à recourir aux tribunaux pour obtenir une meilleure écoute du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

« On y pense sérieusement, parce que jamais on va céder le caribou pour des motifs économiques, comme les coupes forestières. »

— Une citation de  Adrienne Jérôme, cheffe de la Nation Anichinabée de Lac-Simon

Le ministère, ajoute Adrienne Jérôme, est supposé protéger la faune et la forêt, en faisant une gestion responsable de ces ressources. Mais il va toujours prôner l’économie.

La biologiste de la communauté, Geneviève Tremblay, nous a confié que les relations étaient parfois tendues entre la Nation Anichinabée et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

« La Première Nation a des connaissances sur l’écologie, puis sur l’historique. Elle veut participer, puis être impliquée, autant dans la prise de décision que dans la mise en œuvre des actions. Mais ultimement, c’est ça, l’écoute n’est pas toujours là. »

— Une citation de  Geneviève Tremblay, Nation Anichinabée du Lac-Simon

Des obligations et des responsabilités

Pour certains experts que nous avons consultés, le gouvernement du Québec passe outre à certaines normes à respecter en ce qui a trait à la protection des habitats fauniques. Louis Bélanger est spécialiste de l’aménagement durable des forêts. Il a été membre du comité de rédaction du Plan de rétablissement du caribou forestier au Québec – 2013-2023 (Nouvelle fenêtre).

Le Règlement sur l’aménagement durable des forêts (Nouvelle fenêtre) édicte des normes à respecter pour assurer la protection du milieu, fait valoir Louis Bélanger.

« L’idée de sacrifier des populations isolées de caribous forestiers est un affront et un désengagement de l’État à l’égard de notre patrimoine environnemental, et aussi à l’égard des droits et du rôle décisionnel des Premières Nations. »

— Une citation de  Louis Bélanger, ingénieur forestier, expert de l’aménagement durable des forêts à l’Université Laval
Un enclos.

Le gouvernement du Québec doit respecter certaines normes en matière de protection des habitats fauniques du caribou.

Photo : Autre banques d’images / Ministère Des Forêts, De La Faune Et Des Parcs

« Les prochaines populations isolées, il va y en avoir d’autres! Pipmuacan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord, c’est une prochaine population isolée. »

— Une citation de  Serge Couturier, biologiste, expert du caribou

Pour justifier les délais dans l’annonce d’une véritable stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a fait valoir la nécessité de tenir des audiences publiques pour évaluer deux scénarios hypothétiques de gestion de l’habitat du caribou. L’un d’entre eux implique de sacrifier les hardes isolées de Val-d’Or, de Charlevoix et du troupeau en déclin du secteur Pipmucan à l’ouest de Baie-Comeau.

Le biologiste Serge Couturier dénonce ce qu’il appelle la désinformation qui circule dans le débat actuel. Je suis né en Gaspésie, qui dépend beaucoup de la forêt. On met en parallèle la survie de certaines de ces communautés en région, carrément leur survie, et la protection du caribou. C’est nettement exagéré!

« Il y a moyen de faire une foresterie durable, sans devoir fermer des usines puis des moulins à scie! »

— Une citation de  Serge Couturier, biologiste, expert du caribou

« On entend souvent les gens dire que le caribou va disparaître à cause des changements climatiques. La majorité de nos travaux de recherche montrent que ça ne sera pas à cause des changements climatiques que le caribou va disparaître. Le caribou va disparaître dans les 30 ou 50 prochaines années si on continue à exploiter la forêt tel qu’on le fait présentement. »

— Une citation de  Martin-Hugues Saint-Laurent, biologiste, Université du Québec à Rimouski

La semaine verte



Reference-ici.radio-canada.ca

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