La galère financière des patients de la « COVID longue »


Une chance, car Gabrielle n’a pas de logement à elle. Tantôt chez une amie, tantôt locataire quelques mois, tantôt chez l’habitant au Mexique. Elle a arrêté de travailler comme adjointe administrative à l’âge de 52 ans, par choix, pour vivre son rêve : partir six mois par année au Mexique – où elle est aussi gardienne de maisons et d’animaux – et échapper à l’hiver québécois. Je détestais l’hiver pour m’en confesser, mais là, je suis en train de me réconcilier avec, dit-elle avec un mélange d’autodérision et de tristesse.

Mon rêve est tout cassé

En effet, la COVID-19 de longue durée, communément appelée COVID longue, a interrompu son projet de vie. Elle a dû annuler ses contrats au soleil de House and Pet Sitting au Mexique. Alors qu’elle était très sportive, elle n’a plus l’énergie de voyager ni de s’occuper de chiens actifs. Elle nous présente les deux petites boules de poils qui sautillent gentiment à ses pieds sans aboyer : Agnès et Mouna, un carlin et un shih tzu. Elles sont adorables, c’est deux vieilles dames… pas des chiens hyperactifs.

Mais après une promenade de 1,5 kilomètre avec les deux petites chiennes – pas grand-chose pour la sportive qu’elle était – Gabrielle aura besoin de s’allonger une bonne heure au retour, sur le sofa, sans rien faire.

Elle a conservé un emploi, quelques heures à la fois, comme guide animatrice remplaçante pour la Ville de Québec. Lorsqu’elle ne s’en estime pas la force, elle peut simplement indiquer qu’elle n’est pas disponible.

J’ai eu la COVID en février 2021. À ce moment-là, mon dos a vraiment barré, comme si on m’avait planté un pieu entre les omoplates. Mon monde s’est écroulé, les étourdissements ont commencé. Les crises duraient des heures et provoquaient des maux de tête, des nausées. Toutes sortes de symptômes sont apparus, raconte-t-elle. Étrangement, depuis trois semaines, j’en ai un peu moins, mais j’ai maintenant une immense fatigue que je n’avais pas. Comme si on branchait un cellulaire pour le recharger mais qui monte jamais plus de 30 %.

Gabrielle avec une chienne sur le divan.

Une immense fatigue, des étourdissements, la tête prise comme dans un étau forcent Gabrielle Bouchard à se reposer, alors qu’elle était très sportive avant.

Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry

Avant d’avoir la COVID-19, Gabrielle Bouchard avait déjà un mode de vie volontairement modeste, et même frugal, dit-elle. Elle avait mis des sous de côté pour prendre sa retraite tôt. Maintenant, avec très peu de revenus, elle puise dans ses économies pour payer l’épicerie et des soins de physiothérapie à 120 $ l’heure pour soulager un peu ses douleurs.

« J’ai fait un petit relevé des frais de physiothérapie que j’ai payés depuis un an et je suis rendue à 3600 $. »

— Une citation de  Gabrielle Bouchard

Ce qui aurait pu lui paraître un luxe est devenu pour elle un soulagement essentiel. Elle s’en est rendu compte lorsqu’elle a interrompu les soins pour donner du répit à son portefeuille. Moi, j’allais mieux, mon compte de banque, non. J’ai passé un mois sans y aller et là j’ai… crashé, là, ça a basculé, y a plus rien qui allait bien. Fait que j’ai recommencé à aller le voir.

Gabrielle fait partie de ceux qui n’ont aucune assurance, aucune indemnité, aucune prestation pour les aider à faire face aux problèmes financiers liés à la COVID longue.

Les prestations disponibles en cas d’arrêt de travail pour maladie

  • Assurance privée ou collective : offerte par certains employeurs, couverture variable qui peut comprendre une assurance salaire et un remboursement des soins prescrits sur ordonnance
  • Prestations maladie de l’assurance-emploi (fédéral) : versées jusqu’à 15 semaines, 55 % du revenu, maximum de 638 $ par semaine, à condition d’avoir cotisé suffisamment à l’assurance-emploi
  • Prestation de la CNESST (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) : il faut avoir été infecté par la COVID-19 sur le lieu d’emploi. En grande majorité, ce sont des travailleurs de la santé qui l’obtiennent
  • Programme d’invalidité de la Régie des rentes (Québec) : l’invalidité doit être grave et prolongée, de manière à entraîner vraisemblablement le décès ou durer indéfiniment. Difficile à prouver pour le moment
  • Aide sociale ou Solidarité sociale en cas de contraintes sévères à l’emploi (Québec) : aides de dernier recours. Il ne faut plus avoir d’épargne ni de biens tels qu’un appartement ou une maison

Vicky, 50 ans, travailleuse autonome

Rien, non. Travailleur autonome, on n’a droit à rien. Non, y a rien pour ça, se désole Vicky – prénom fictif, car elle souhaite préserver son anonymat, de crainte de perdre son petit emploi à temps partiel. Il y a encore des préjugés et je ne veux pas me rajouter des problèmes.

Vicky a 50 ans et vit avec son conjoint dans une maison qu’il a construite lui-même, entourée d’un boisé, un peu au nord de Québec. Un bel environnement qu’elle a souvent parcouru en randonnée, à pied ou en raquettes l’hiver.

Vicky de dos marche sur un chemin de neige dans le bois.

Vicky fait de courtes promenades autour de chez elle. La nature lui fait du bien.

Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry

Elle aime encore faire quelques pas autour de chez elle, pour prendre le soleil et respirer le bon air au milieu des arbres, en compagnie des perdrix et des écureuils. Durant ces deux ans de COVID longue, la nature lui a toujours fait du bien.

Elle ne sait pas combien de temps ça va se poursuivre. Son conjoint demande la séparation et elle devra déménager tôt ou tard. La COVID longue, avec son cortège de douleurs, d’immense fatigue et d’incapacité, a fini par tuer son couple.

La maison est à lui, elle payait d’autres dépenses, ils s’étaient entendus ainsi. Elle n’avait pas prévu le coup. C’est dommage, j’avais mis un peu ma vie dans les mains de quelqu’un d’autre. Je ne m’attendais pas à ce qu’un jour on soit plus ensemble, dit-elle, les yeux rougis de larmes.

« Je perds tout. Je perds mon conjoint, ma maison, mon environnement, tout ce qui vient avec. Je vais sûrement me retrouver dans un très petit logement, je sais pas où. En tout cas, j’essaye de pas voir trop loin, j’essaye vraiment de vivre au jour le jour, prendre soin de moi. »

— Une citation de  Vicky, atteinte de COVID longue

Travailleuse autonome pendant 24 ans, elle faisait de l’entretien ménager résidentiel et commercial. J’allais dans les grosses maisons. J’avais beaucoup de travail ici dans ma communauté. J’étais quelqu’un de très physique, de perfectionniste, donc tout de suite j’ai été aimée et recommandée, on voulait être sur ma liste d’attente. Donc je gagnais très bien ma vie, raconte-t-elle avec fierté.

La COVID longue lui a volé son énergie. Vicky ne peut plus passer l’aspirateur, monter les étages, astiquer pendant des heures. Elle a perdu tous ses clients.

Elle essaye de gagner un peu d’argent malgré tout. Elle a trouvé un petit boulot à temps partiel, qui l’occupe trois jours par semaine, un peu plus de deux heures par jour. Un emploi de retraitée comme elle dit, sans obligation. Si elle ne va pas bien, elle dit qu’elle n’est pas disponible et personne ne demande pourquoi.

Cet emploi, je tiens à le garder, c’est tout ce que j’ai. Si je ne fais plus ce travail-là, j’en n’ai plus de revenus. Là, y a vraiment plus rien, là, répète-t-elle, angoissée. C’est seulement deux heures quinze, puis je vous dis pas que c’est facile de les faire. J’accepte de souffrir en me disant que c’est pas sept heures!

Quand elle réussit à faire ses heures, elle gagne 600 $ par mois. Dernièrement, elle a dû manquer deux semaines, à cause de problèmes neurologiques à la tête. Des douleurs terribles, elle avait l’impression d’avoir le crâne qui brûle.

Une maladie encore incomprise

Ce n’est pas toujours facile pour elle de décrire ses symptômes et, surtout, d’être comprise par son médecin, alors elle note tout, tout, tout ce qui lui arrive, depuis deux ans. Au départ, c’était par crainte d’oublier – les troubles de mémoire font partie des séquelles de la COVID-19. Puis elle s’est dit que ça pourrait servir un jour. Le dossier qu’elle serre entre ses mains est épais de cinq centimètres. On y aperçoit des feuilles bien classées, avec des trombones. Moi, j’suis une perfectionniste, dit-elle encore.

Un dossier tenu dans les mains et un masque accroché au poignet.

Dans ce dossier épais, il y a 2 ans de symptômes, d’examens et de soins consignés par Gabrielle Bouchard.

Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry

Le diagnostic de COVID longue est difficile à obtenir, car peu de médecins encore, en dehors de quelques experts à Sherbrooke ou Montréal, s’intéressent de près à cette maladie.

Comme Vicky, Gabrielle Bouchard s’est heurtée à une forme de scepticisme de la part du personnel de la santé. Sa médecin de famille lui a dit qu’elle faisait de l’anxiété. Elle est repartie avec une ordonnance d’antidépresseurs, qu’elle n’a jamais pris. Comme Vicky, elle est certaine que ce n’est pas une dépression. Ce qu’elle vit concorde avec de nombreux témoignages exprimés dans les groupes de soutien et avec des articles écrits sur le sujet de la COVID de longue durée.

« Le neurologue et ma médecin m’ont dit d’arrêter de penser à ça et de lire sur le sujet! C’est sûr que je lis beaucoup, je veux comprendre ce qui m’arrive! Mais ce que je lis, c’est The Lancet, Nature, Science. C’est vraiment des articles scientifiques, c’est pas… Robert Caron de Saint-Casimir ou de je sais pas où. »

— Une citation de  Gabrielle Bouchard

Prendre soin de soi coûte cher

Sa bouée de sauvetage, c’est la physiothérapie. Même si son portefeuille n’aime pas ça, Gabrielle Bouchard a repris ses rendez-vous une fois par semaine, dans une clinique privée de Sainte-Foy. Les soins ne lui sont pas remboursés par l’État.

Et dans le réseau public, obtenir un premier rendez-vous peut prendre des mois. Avant la pandémie, environ 20 000 Québécois étaient en attente de services, selon l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec.

Donc, on reprend le massage du crâne? demande Gabrielle. Oui, viens sur le dos, on va aller voir ça, répond le physiothérapeute Robin Plourde, d’une voix douce.

Elle s’allonge et ferme les yeux. Des mains lui tirent en arrière ses longs cheveux bouclés, puis se posent tout autour de son crâne, doigts écartés, sans bouger, du moins apparemment. Par d’infimes mouvements, Robin Plourde étire, appuie, masse les tensions et raideurs. Ah! Ça fait du bien, soupire Gabrielle.

Gabrielle allongée sur la table du physiothérapeute qui lui tient la tête.

Robin Plourde, physiothérapeute, ne guérit pas la COVID longue mais arrive à soulager certains symptômes, ici par un massage du crâne.

Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry

Pour être très honnête, je ne traite pas la COVID longue, dit Robin Plourde, physiothérapeute depuis 15 ans. Moi, j’agis sur la mobilité du système nerveux. Peu importe la cause, que ce soit un traumatisme crânien ou un virus, ce qui m’intéresse, c’est la mobilité neurale, qui crée des effets sur le corps au complet. Et on s’est rendu compte, avec Gabrielle, que ses symptômes diminuaient. Mais il n’y a pas de lien de cause à effet directement. Pas de guérison en vue, avec ce traitement, mais au moins un soulagement. Quand il commence à traiter le crâne, dit Gabrielle, mon cerveau est comme un bouton de rose fermé. Et quand il termine, on dirait que ma tête a fleuri. Son acuité visuelle s’améliore, les étourdissements se calment. Des fois, les bienfaits durent quelques jours. Des fois, non. Ça dure pas, reconnaît Gabrielle, mais au moins, le temps que ça dure…

Ils m’ont sauvé la vie!

Pour Vicky, c’est une question de vie ou de mort. Oui, oui! Moi, je songeais à la mort! Je pensais de toute façon mourir, parce que j’étais plus capable de respirer. Je ne peux pas rester comme ça toute ma vie, là! C’est hors de question, là.

Elle se souvient de sa première visite chez l’ostéopathe. Sa tête ne bougeait plus, elle était prise comme dans un pain. Ça m’a fait tellement de bien que j’ai pleuré, j’ai pleuré sur sa table, j’ai pleuré tout le long du traitement! Même chose chez la massothérapeute. Elle arrivait à me soulager vraiment, à me libérer de ma douleur.

Il lui a fallu 10 traitements pour défaire son pain dans la tête. Elle énumère : Dix traitements à 115 dollars. Massothérapeute, c’est 80 dollars. Physiothérapeute, c’est 105 dollars. Elle a tout payé de sa poche, avec son revenu de 600 $ par mois. Fait que moi, tout y a passé. Y avait juste ça d’important. Mes économies, c’est là qu’elles passent. Je ne resterai pas chez moi quand ces gens-là peuvent m’aider. Je vais payer, je vais payer, je vais payer.

Des cliniques promises

Dans son dernier budget, Québec annonce une somme de 20,5 millions de dollars, pour mettre sur pied 15 cliniques consacrées à la COVID longue, dans toute la province. Cet investissement – le premier au Canada d’une telle ampleur concernant cette maladie – facilitera le diagnostic et la mise en commun d’expertises.

Mais il ne réglera pas les listes d’attente en réadaptation – elles risquent au contraire de s’allonger, avec les nouveaux besoins dus à la COVID longue. Cela n’aidera pas non plus les patients sans couverture d’assurance à payer leurs soins dans le privé, en particulier lorsque leur arrêt de travail les prive de tout revenu.

Une pétition pour faire reconnaître l’invalidité

La députée de Joliette pour le Parti québécois, Véronique Hivon, marraine la pétition d’un groupe de citoyens, qui demandent la reconnaissance de la COVID longue comme maladie pouvant mener à l’invalidité, aux termes de la Régie des rentes du Québec. Comme députée, j’ai vraiment eu des appels crève-cœur dans les derniers mois. Je pense qu’on sous-estime grandement les impacts de cette maladie-là.

En date du 11 avril, 1430 personnes avaient signé la pétition, moins d’un mois après son lancement.

Véronique Hivon à l'avant-plan et Simon Jolin-Barrette qui l'écoute, en retrait.

Véronique Hivon, députée de Joliette

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

À ce jour, la Régie des rentes refuse net [d’indemniser des patients atteints de COVID longue], prétextant que c’est trop nouveau, qu’il faut d’autres recherches, déplore Véronique Hivon. Alors, c’est le chien qui court après sa queue, là! Parce qu’il n’y a pas assez de travail de recherche qui se fait, et bien des organismes étatiques n’acceptent pas de reconnaître, d’accompagner et d’indemniser.

Le gouvernement Legault n’envisage pas de créer un programme d’indemnités pour les victimes du syndrome post-COVID-19. Le ministre du Travail Jean Boulet explique dans un courriel que cette maladie n’est pas encore bien comprise. Il renvoie la balle au ministre des Finances, responsable de la Régie des rentes.

Retraite Québec rappelle qu’une rente est accordée en cas d’invalidité grave et prolongée, ce qui veut dire que cette invalidité doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

La députée estime que l’État a les moyens d’aider les victimes de la COVID longue, au moins en mettant en place au moins un programme d’urgence, pour leur éviter de tomber dans le pétrin sur le plan financier.

« Il y a eu tellement d’énergie mise, avec raison bien entendu, pour toutes sortes de programmes, pour soutenir tous les effets de la pandémie et de la COVID, c’est quand même assez grave et ironique qu’on oublie les gens directement touchés sur le long terme par cette pandémie. »

— Une citation de  Véronique Hivon, députée de Joliette
Une bougie et un caillou en forme de coeur avec le mot espoir, posés sur une nappe à carreaux.

« Aujourd’hui, je vis d’espoir », dit Gabrielle Bouchard, qui a décoré la table pour l’entrevue.

Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry

La variété des symptômes, leur intensité inégale d’un jour à l’autre ou d’une personne à l’autre, font de cette maladie et de ses répercussions financières un sujet complexe, personne ne peut dire le contraire.

Mais pour Vicky, Gabrielle Bouchard et les milliers de personnes membres de groupes de soutien sur les réseaux sociaux, au Québec comme ailleurs dans le monde, c’est la vie qui est devenue autrement plus compliquée. Et il ne sera pas toujours possible de mettre un couvercle sur la marmite.



Reference-ici.radio-canada.ca

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