Des écoles religieuses dans un Québec laïque


Même si le système scolaire québécois est laïque, dans les faits, de nombreuses écoles primaires et secondaires ont une vocation religieuse explicite. Elles offrent donc minimalement à leurs élèves des cours d’enseignement religieux ou des services de pastorale dans le cadre de leur projet pédagogique.

C’est le cas de 50 établissements parmi les 165 écoles privées que subventionne le gouvernement.

Parmi celles-là, 27 sont catholiques, 14 juives, quatre musulmanes; deux sont protestantes évangéliques, deux arméniennes et une grecque orthodoxe. Les écoles juives, musulmanes, grecque et arméniennes se trouvent toutes à Montréal, alors que les établissements catholiques et protestants sont plus dispersés mais avec une forte concentration à Montréal, à Québec et dans Chaudière-Appalaches.

Ces écoles subventionnées à hauteur de 60 % ont reçu pour l’année scolaire 2020-2021 plus de 161 millions de dollars, selon les informations qu’a obtenues Radio-Canada grâce à la Loi sur l’accès à l’information. Les écoles privées subventionnées du Québec reçoivent au total plus de 600 millions de dollars par année.

Radio-Canada a exclu de son calcul les écoles religieuses à l’origine mais qui, depuis, ont évacué toute dimension religieuse de leur projet éducatif.

Le nombre de ces écoles religieuses subventionnées par l’État était jusqu’ici inconnu puisque le ministère de l’Éducation ne produit plus de statistiques sur les écoles selon leur religion. Il y a 10 ans, le défunt Comité sur les affaires religieuses du ministère de l’Éducation avait dénombré 138 écoles confessionnelles, financées ou non par l’État.

En effet, les écoles religieuses ne sont pas toutes financées par l’État : certaines sont privées, d’autres se trouvent carrément en situation d’illégalité. Il arrive parfois aussi que des écoles qui ont ouvert dans la clandestinité obtiennent leur accréditation en se conformant aux programmes du ministère. C’est le cas de l’Académie chrétienne Rive-Nord, à Laval, qui utilisait avant 1997 la méthode pédagogique School of Tomorrow de l’Accelerated Christian Education, un programme évangéliste conçu au Texas.

Des pratiques religieuses diversifiées

Les écoles québécoises sont laïques depuis l’adoption de la loi 95, en 2005, fruit d’un long processus de déconfessionnalisation qui avait démarré dans les années 1980. Les institutions fondées par des communautés religieuses catholiques, par exemple, sont presque toutes devenues des OSBL gérés par un conseil d’administration laïque. On y enseigne les programmes du ministère de l’Éducation.

Les cours d’enseignement religieux ont en outre été remplacés par le cours Éthique et culture religieuse (ECR), qui y est enseigné depuis 2008. À la rentrée, il deviendra toutefois le cours Culture et citoyenneté québécoises.

Cependant, diverses écoles maintiennent des pratiques religieuses, qui varient considérablement d’une école à l’autre. Certaines écoles anciennement dirigées par des religieux catholiques dispensent encore un cours d’enseignement religieux catholique, en plus du cours ECR obligatoire, et proposent un service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire axé notamment sur la foi catholique. C’est le cas à l’École des Ursulines de Québec et de Loretteville.

D’autres pratiquent leur religion avec davantage de ferveur. L’école ultra-orthodoxe juive Yeshiva Gedola-Merkaz Hatorah, à Montréal, obtient régulièrement des avis défavorables de la Commission consultative de l’enseignement privé pour non-respect du régime pédagogique. Son rapport 2014-2015 fait état d’un manquement récurrent quant à l’application du programme et celui de 2018-2019 juge que le cours ECR n’est pas offert dans son intégralité. Son permis est néanmoins renouvelé par le ministère.

L’école ultra-orthodoxe juive Yeshiva Gedola-Merkaz Hatorah, à Montréal, a obtenu plusieurs « avis défavorables » de la Commission consultative de l’enseignement privé.

L’école ultra-orthodoxe juive Yeshiva Gedola-Merkaz Hatorah, à Montréal, a obtenu plusieurs « avis défavorables » de la Commission consultative de l’enseignement privé.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’école secondaire catholique Loyola, qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême afin d’être exemptée de l’obligation de dispenser le cours ECR selon une perspective laïque, organise des prières, célèbre la messe et se définit comme un apostolat jésuite.

À l’école catholique Marie-Clarac, à Montréal-Nord, une dizaine de religieuses de la congrégation des Sœurs de Charité de Sainte-Marie, habillées d’une robe bleue, d’un collet blanc et d’un voile qui orne leur tête, sont encore présentes à des postes de direction et de personnel de soutien.

La directrice générale, sœur Jacinthe Caron, précise que l’admission est ouverte à tous les élèves de toutes les confessions et même s’ils sont agnostiques ou athées. L’être humain est fait de plusieurs aspects. Il faut vivre avec la différence, elle n’est pas une menace pour nous, dit-elle.

La laïcité aux portes du privé

Les écoles privées subventionnées ne sont pas soumises aux contraintes de la Loi sur la laïcité de l’État du Québec (loi 21), adoptée en juin 2019 par le gouvernement de François Legault. Les enseignants peuvent y garder leur voile, leur kippa ou leur croix.

Lors de l’adoption de la loi 21, le premier ministre Legault avait indiqué qu’il n’avait pas l’intention d’y inclure les écoles privées subventionnées, une demande formulée à l’époque par le Parti québécois. On a délimité un carré de sable. Est-ce qu’on aurait dû les inclure? C’est discutable, mais on a fait le choix de ne pas les inclure, avait-il dit. Ces propos avaient été publiés par Le Journal de Montréal.

Toutefois, pour de nombreux groupes pro-laïcité au Québec, le processus de laïcisation du système d’éducation ne sera pas terminé tant que la loi 21 ne sera pas étendue aux écoles privées religieuses subventionnées.

Le sociologue Guy Rocher est de cet avis, mais il reconnaît que cette question pour les gouvernements successifs demeure délicate et touche à des « sensibilités ». « Maintenant, nous vivons dans une période où les religions sont devenues minoritaires, donc elles se sentent fragilisées, en danger », dit-il.

L’universitaire, qui est le dernier membre vivant de la commission Parent, chargée dans les années 1960 de moderniser l’enseignement au Québec, estime qu’il pourrait être utile pour le gouvernement de faire un inventaire de ces écoles et d’établir leur degré de religiosité.

Le sociologue Guy Rocher.

Le sociologue Guy Rocher

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Certaines écoles posent plus problème que d’autres, souligne-t-il, notamment « ces écoles musulmanes ou juives, qui sont comme les écoles catholiques comme nous avions autrefois, c’est-à-dire que la vie confessionnelle enveloppe l’éducation ».

Pour les écoles catholiques, je vois dans ce que vous me présentez un vestige de ce que nous avons connu il y a 50 ans. Dans notre culture québécoise, on n’a pas complètement évacué la religion, affirme le sociologue, qui a lui-même parfait son éducation avec trois communautés religieuses au primaire avant de devenir pensionnaire au Collège de L’Assomption, devenu complètement laïque depuis lors.

Financement public critiqué

L’ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec, Françoise David, croit les gouvernements successifs n’ont pas osé remettre en question les subventions aux écoles confessionnelles au nom de la laïcité parce que la majorité d’entre elles sont catholiques.

« C’est un sujet sensible, car même si maintenant l’immense majorité des francophones ne va plus à l’église, il y a un attachement culturel et historique que je comprends », dit Mme David, qui a longtemps été porte-parole de Québec solidaire, le seul parti politique qui demande la fin des subventions aux écoles privées, religieuses ou non.

Françoise David dénonce l’incohérence du gouvernement caquiste dans ce dossier, de même que celle des exemptions d’impôts accordées aux bâtiments religieux, alors qu’il dit vouloir faire de la laïcité sa priorité. Mais le gouvernement n’ose même pas ouvrir le dossier et il ne le fera pas, prédit-elle.

Mme David ne prône pourtant pas l’interdiction des écoles confessionnelles, pas plus que le philosophe Michel Seymour, qui a longtemps réfléchi à la laïcité des institutions. Moi, je suis pour l’école confessionnelle, mais l’État doit-il financer ces institutions? évoque-t-il en soulignant qu’en Ontario, le gouvernement ne finance tout simplement pas les écoles privées.

La Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP), dont font partie certaines de ces écoles confessionnelles, estime pour sa part que la religion n’est plus une question à l’ordre du jour parmi ses membres. Nous, on leur dit qu’elles doivent respecter les programmes du ministère de l’Éducation et les valeurs qui nous sont chères pour faire partie de la Fédération, affirme son président, David Bowles.

M. Bowles, qui est aussi directeur du Collège Charles-Lemoyne, à Longueuil, souligne que 55  % des écoles de la FEEP n’ont pas été fondées par des communautés religieuses. Et celles qui l’ont été ont généralement traversé un processus de relève institutionnelle, c’est-à-dire que l’école a été prise en charge par des laïcs.

La FEEP mentionne aussi que lors d’un sondage réalisé en 2019 par la firme CROP auprès de parents dont les enfants fréquentent une école membre de la FEEP, la religion n’est pas ressortie comme un facteur de choix d’une école privée.

Le philosophe Michel Seymour reconnaît qu’une cinquantaine d’écoles religieuses subventionnées sur les quelque 2800 écoles primaires et secondaires du Québec, c’est peu.

Peut-être que ces écoles sont appelées à disparaître progressivement. Et j’imagine que si l’État ne les finançait pas, elles disparaîtraient plus vite, ajoute-t-il.

Interpellé à plusieurs reprises, le ministère de l’Éducation n’a pas répondu à notre invitation à s’exprimer sur le sujet.



Reference-ici.radio-canada.ca

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