De plus en plus d’enfants innus fréquentent une école naskapie mieux financée


Pourtant, c’est à l’école Kanatamat de Schefferville qu’elle devrait se trouver puisque la famille Tremblay habite à Matimekush–Lac-John, la communauté autochtone voisine de Schefferville, et non pas à Kawawachikamach.

Une salle de classe avec au tableau, des chiffres et des dessins.

Recruter des professeurs qui veulent bien venir jusqu’à Kawawachikamach est très difficile.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

L’adolescent, dont la mère est innue, et le père, naskapi, n’est pas le seul de Schefferville à fréquenter l’école de Kawawachikamach.

L’école Jimmy Sandy Memorial, qui offre des cours de tous les niveaux scolaires jusqu’à la cinquième du secondaire, accueille près de 100 élèves innus de Matimekush–Lac-John sur les 289 qu’elle compte au total.

Une femme pose devant l'appareil photo.

Éloise Tremblay a choisi d’envoyer son fils à l’école de Kawawachikamach.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Le nombre d’élèves qui viennent de Matimekush–Lac-John a tellement augmenté que l’école doit désormais noliser un deuxième autobus pour aller les chercher et pour les reconduire à Kawawachikamach.

Chaque année, nous avons des Innus de plus et cet intérêt grandit depuis environ cinq ans, explique Joseph Whelan, directeur de l’école de Kawawachikamach, en se gardant d’en expliquer la raison, préférant laisser les parents s’exprimer à ce sujet.

De l’argent de Québec en plus

Les parents qui inscrivent leurs enfants à l’école de Kawawachikamach évoquent un argument de taille pour justifier leur choix : celui des fonds alloués aux deux établissements.

Un homme pose devant l'appareil photo.

Le directeur de l’école de Kawawachikamach souhaite offrir un enseignement en langue française pour les Innus.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Il faut préciser que la communauté naskapie est régie par la Convention du nord-est du Québec.

Cet accord, signé en 1978 entre les Naskapis et le gouvernement québécois, stipule entre autres que l’école naskapie recevra du financement de Québec.

De son côté, l’école innue de Matimekush–Lac-John est entièrement financée par Ottawa puisque la communauté est non signataire de cette convention.

Ainsi, pour 2021-2022, l’école innue a reçu 5,3 millions de dollars du fédéral. Elle n’a rien reçu de Québec puisque la communauté n’est pas signataire de la Convention du Nord-Est québécois.

L’école naskapie, elle, a reçu 14,5 millions de dollars au total. De cette somme, 25 % provient de la province et 75 % du fédéral.

Une salle de classe avec des chaises sur les tables.

Les élèves de la Jimmy Sandy Memorial School apprennent la langue naskapie.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

« Le sous-financement de nos écoles dans les communautés a aussi motivé mon choix d’envoyer mon fils à Kawawachikamach. »

— Une citation de  Éloise Tremblay, parent d’élève

Il y a quelques années, Québec donnait jusqu’à 30 % de plus que le fédéral, mais ça se rééquilibre doucement, indique toutefois Donat Jean-Pierre, directeur de l’école de Schefferville que la plupart des enfants innus fréquentent.

Portrait d'un homme.

Donat Jean-Pierre aimerait qu’une collaboration existe entre son établissement et celui de Kawawachikamach.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

M. Jean-Pierre estime que tous les élèves autochtones devraient avoir accès à la même qualité d’enseignement, peu importe leur communauté.

L’anglais, un plus

Pouvoir permettre à leurs enfants d’apprendre l’anglais, notamment pour leur avenir professionnel, est un des arguments qui reviennent le plus souvent de la part des parents innus sondés par Espaces autochtones.

Je lui donne un avantage pour son avenir, pour la vie de tous les jours : apprendre quatre langues, explique Éloise Tremblay.

En effet, de la prématernelle à la troisième année du secondaire, les enfants suivent des cours en langue naskapie. Ensuite, les professeurs donnent leurs cours en anglais (les Naspakis parlent le naskapi et l’anglais; peu d’entre eux parlent le français) et la langue naskapie devient alors une matière à part.

Portrait d'une femme assise.

Elena Ashini est naskapie et innue. Elle a inscrit son fils de six ans à l’école de Kawawachikamach, car elle se sent plus proche de la culture naskapie.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Mon conjoint est naskapi et je suis à moitié naspakie et innue. Nos valeurs sont liées à la culture naskapie et c’est notre première langue, c’est pour cela qu’on a choisi cette école pour notre fils de six ans, explique de son côté Elena Ashini, qui habite à Schefferville.

Un tipi en bois dans la forêt.

Les deux écoles élaborent des activités culturelles pour les enfants.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

L’intérêt pour l’établissement de Kawawachikamach est tel, de la part des Innus francophones, qu’il planche sur la création d’une option français pour eux. Il souhaite à terme devenir un établissement trilingue.

Le naskapi serait toujours enseigné au primaire, mais au secondaire, les élèves pourraient choisir de suivre leur cursus en anglais ou en français, en fonction de leur langue maternelle. Nous espérons y arriver au cours des cinq à sept prochaines années, explique M. Whelan.

L'école Kanatamat à Matimekush–Lac-John.

L’école Kanatamat voit de plus en plus de jeunes Innus qui sont plutôt envoyés à l’école naskapie.

Photo : Radio-Canada / LAURENCE ROYER

Il n’y a pas que la question de la langue pour Éloise Tremblay. Ici, on me met rapidement au courant s’il y a des problèmes. Je trouve que l’implication des professeurs est plus importante, dit-elle en concédant toutefois que la culture autochtone est plus mise en avant à l’école de Matimekush–Lac-John.

Donat Jean-Pierre, le directeur de l’école de Schefferville, tient à défendre son établissement et fait valoir que ses classes sont beaucoup plus petites que celles de Kawawachikamach : de huit à dix élèves par classe au primaire, de six à huit au secondaire, un gage de qualité.

L'intérieur de l'école Kanatamat à Matimekush–Lac-John.

L’école a autrefois accueilli tous les enfants des non-Autochtones qui vivaient à Schefferville avant que cette ville ne ferme, en 1982.

Photo : Radio-Canada / LAURENCE ROYER

On est comme une école privée et les professeurs sont très disponibles et très compétents, appuie-t-il en évoquant les diplômes qu’ils détiennent.

À Kawawachikamach, les classes sont plutôt composées en moyenne de 20 enfants.

L’école Jimmy Sandy Memorial compte quant à elle 26 enseignants, dont six sont autochtones. À Schefferville, il y en a douze, dont quatre Innus en plus de M. Jean-Pierre, ainsi que quatre éducateurs spécialisés.

Le directeur reconnaît perdre de la clientèle, mais pas qu’au profit de l’établissement de la communauté naskapie voisine. Certains déménagent aussi à Sept-Îles, ajoute-t-il.

Pour y remédier, il croit qu’il faut rétablir un lien de confiance entre la communauté tout entière et Kanatamat et que cela doit passer par la communication. Un colloque est même prévu prochainement en ce sens.

Une affiche porte la mention "tous les enfants comptent" inscrite en naskapi et en anglais.

L’école de Kawawachikamach existe depuis 1985.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Le directeur souhaiterait aussi plus de communication entre son établissement et celui des Naskapis. Pourquoi ils n’ont pas pris le temps d’en discuter avec nous? On pourrait envisager des échanges. Il y a un manque de considération envers nous, dit-il à propos de l’ouverture éventuelle d’une section d’apprentissage en français à Kawawachikamach.

M. Jean-Pierre vante aussi les bons résultats de certains de ses élèves, rappelant qu’un élève du primaire avait par exemple obtenu 92 % aux épreuves ministérielles. Un autre de cinquième année de secondaire a reçu la note de 81 %. Ça, c’est le résultat des enseignants, des élèves et des parents qui s’impliquent, croit ce diplômé de l’Université de Montréal et de l’Université de Sherbrooke.

Une affiche sur laquelle on peut lire l'alphabet naskapi et la prononciation de chaque lettre.

À la Jimmy Sandy Memorial School de Kawawachikamach, la langue naskapie est la langue dans laquelle sont donnés les cours aux enfants du primaire.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Là où les deux écoles se retrouvent, c’est surtout sur le défi du recrutement. Pas facile aujourd’hui de trouver des candidats à la vie dans une zone aussi reculée. Les Innus de Matimekush–Lac-John peuvent compter sur une immigration africaine, ce qui est un atout, selon le directeur, car leur présence favorise l’ouverture d’esprit des enfants.

Portrait d'une femme.

Shannon Uniam, directrice adjointe de l’école, a elle-même bénéficié du programme proposé par l’Université McGill pour devenir professeure.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

L’école Jimmy Sandy Memorial accueille également 15 étudiants de McGill qui souhaitent devenir professeurs. Cela permet aux étudiants autochtones de suivre leur cursus ici plutôt que d’aller en ville, à Montréal. C’est moins stressant pour eux, explique M. Whelan.

Shannon Uniam, directrice adjointe de l’école, ajoute même que certains de ses étudiants sont innus et que certains d’entre eux veulent devenir des professeurs de langue naskapie.

Les deux écoles ont aussi autre chose en commun : gérer les frictions entre les élèves. Une réalité qui existe dans toutes les écoles du monde.



Reference-ici.radio-canada.ca

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