Aimer les toxicomanes


Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton travail?

C’est une question que j’ai posée à toutes les intervenantes du pavillon de l’Assuétude qui ont accepté de me parler. Elles ont toutes eu besoin d’un petit moment de réflexion; c’est plutôt rare qu’on les interroge là-dessus. Peut-être assume-t-on que c’est tous les jours difficile de travailler avec des personnes qui vivent avec une dépendance? Peut-être a-t-on peur de la réponse?

Me regarder en face dans un miroir et savoir que je ne suis pas seule, me répond Pascale. Plusieurs de ses proches vivent avec une dépendance. Elle essaie de les soutenir tous les jours, une tâche plus difficile avec les gens qu’elle aime qu’avec ses clients qu’elle accompagne.

« Je ne suis pas seule. Et si eux ils arrivent à en parler, à partager, à travailler là-dessus, à avoir le courage, je me dis que ce que je vais travailler avec eux, je vais le travailler avec moi. Ça m’aide à grandir. »

— Une citation de  Pascale Cousin, intervenante au pavillon de l’Assuétude
Pascale Cousin

Pascale Cousin a horreur que les gens jugent la clientèle avec laquelle elle travaille.

Photo : Radio-Canada / Pascale Langlois

Pouvoir se voir dans le regard de l’autre. C’est aussi ce que me confie Myka, 23 ans, abstinente depuis deux ans. Elle ne pensait jamais pouvoir faire ce travail, faute d’études. Pour elle, l’école a toujours été difficile et confrontante. Maintenant, elle se retrouve devant une vingtaine de personnes pour leur enseigner comment gérer leurs émotions autrement.

Dans la vie, je ne pensais jamais pouvoir avoir une émotion et de penser à ce que je leur [enseigne] pour l’appliquer sur moi, explique-t-elle.

Myka Lapointe qui enseigne devant un groupe.

Pour Myka Lapointe, la matière qu’elle enseigne est plus utile que ce qu’elle apprenait sur les bancs d’école. Et elle continue d’apprendre tous les jours.

Photo : Radio-Canada / Pascale Langlois

Pas toujours facile d’aider ceux qui aspirent simplement à réduire leur peine de prison en faisant une thérapie. C’est un des grands défis auxquels les intervenantes doivent faire face tous les jours.

On ne peut pas les sauver s’ils ne veulent pas, laisse tomber Pascale. Elle m’explique qu’il faut aller chercher des raisons plus profondes de faire le cheminement. Si on arrive à aller chercher ça et à le tenir, la personne va vraiment commencer à intérioriser.

Et la rechute? Ça fait partie du processus, qu’elles m’ont toutes répondu. Moi je suis contente quand je leur parle et qu’ils me disent Ça fait un an!. C’est une réussite, vraiment, ajoute Jolyanne, la conseillère clinique.

Choisir le communautaire

Jolyanne a commencé comme stagiaire. Elle accompagne maintenant les intervenantes dans leur travail, les soutient, en tant que conseillère clinique, tout en poursuivant ses études. C’est une place marquante.

Joyanne Arvisais assise dans son bureau.

Jolyanne Arvisais répète souvent aux intervenantes que leur outil de travail, c’est elles-mêmes. Elles doivent prendre soin d’elles pour prendre soin des autres.

Photo : Radio-Canada / Pascale Langlois

Si elle pensait d’abord se diriger vers une organisation gouvernementale, elle ne songe maintenant plus à quitter le pavillon.

« Sentir qu’on te fait confiance dans ce que tu fais. J’ai évolué. C’est à cause de toutes les fois où on m’a dit: Ben oui, fais ça! C’est beaucoup de responsabilisation. »

— Une citation de  Jolyanne Arvisais, conseillère clinique au pavillon de l’Assuétude

Les valeurs du pavillon sont affichées en toutes lettres sur les murs des corridors. Elles s’appliquent à tous et créent une cohésion entre les résidents et le personnel. Tous ont le même cadre, les mêmes objectifs : créer un meilleur avenir.

Myka s’est quant à elle fait offrir un poste d’intervenante après avoir perdu un emploi lucratif dans le domaine des assurances. Elle gagne maintenant le tiers de son salaire d’avant, mais ne s’est jamais sentie aussi bien dans son travail.

« De voir les gens passer par le même chemin que moi, je trouve ça vraiment l’fun. De pouvoir les aider et de me dire que je peux le faire même si j’ai déjà eu des problèmes, et que j’ai encore des problèmes, c’est tellement gratifiant. »

— Une citation de  Myka Lapointe, intervenante au pavillon de l’Assuétude

Les freins à la thérapie

Le pavillon de l’Assuétude a dû réduire le nombre de places disponibles à cause des mesures liées à la pandémie. Mais maintenant que les règles sont assouplies, c’est le manque de main d’œuvre qui limite l’accès au service.

Des subventions, on va toujours en prendre, comme n’importe où. Mais après ça, moi je ne m’invente pas du personnel avec ça, lance Jolyanne.

Une chambre avec un lit simple.

Les chambres sont de nouveau partagées par deux résidents, maintenant que les mesures sanitaires sont assouplies.

Photo : Radio-Canada / Pascale Langlois

Même problème pour préparer la sortie des résidents après trois mois de thérapie pendant lesquels ils ont accès à du soutien 24 heures sur 24. L’accès aux services de santé mentale et au logement est autant de soucis pour les intervenantes que pour les résidents. Et je sens toute l’impuissance de Jolyanne et de son équipe face à l’ampleur de la tâche.

À quelques jours de sa sortie, Elysa m’a confié qu’elle était d’abord inquiète de savoir ce qui l’attendait. Mais maintenant qu’elle a trouvé un emploi, un appartement et une colocataire, elle est soulagée. Elle est confiante que sa meilleure amie sera là pour l’encourager et la soutenir dans son cheminement.

On est devant des listes d’attente pour tout, pour avoir des employés, pour avoir des services. C’est sûr que là [éviter] la rechute, c’est encore plus tough , ajoute-t-elle à regret. Mais elle voit bien à quel point toutes les instances tentent de travailler main dans la main pour surmonter ces obstacles, et donner la deuxième chance que les personnes vivant avec une dépendance souhaitent tant.



Reference-ici.radio-canada.ca

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