Après trois semaines d’audiences publiques de la Commission des pertes massives d’avril 2020 en Nouvelle-Écosse, la méfiance des familles des disparus fait place à un optimisme prudent.
Les commissaires ont accepté d’appeler à comparaître la majorité des témoins que veulent entendre les proches des 22 personnes assassinées.
Le commissaire principal Michael MacDonald affirme que le fait d’entendre les personnes qui étaient présentes [à Portapique] et qui ont eu le temps de réfléchir à leur expérience pourrait donner [à la commission] des informations importantes sur les leçons apprises
.
C’est le signal qu’attendaient les proches des victimes qui entretenaient, avant même le début des audiences à Halifax, des doutes sur la capacité de cette enquête publique à leur apporter des réponses aux questions qui les hantent depuis deux ans.
Jusqu’ici, la Commission des pertes massives a été en mesure d’établir une chronologie assez détaillée de la tragédie des 18 et 19 avril 2020 à partir de témoignages de survivants, d’appels au 911 et de communications internes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Les documents déposés devant la commission révèlent qu’un denturologiste vêtu d’un uniforme de gendarme a tué 13 de ses voisins et allumé plusieurs incendies dans la petite communauté rurale de Portapique. Il a poursuivi sa cavale meurtrière de 13 heures dans le centre de la Nouvelle-Écosse, au volant d’une fausse autopatrouille, faisant au total 22 victimes, dont une femme enceinte et une policière.
Des témoins attendus
Il y a toutefois des périodes plus ou moins longues durant la fusillade pour lesquelles les enquêteurs ne peuvent établir les faits avec certitude.
C’est la raison pour laquelle les proches des victimes insistent pour que la commission assigne à comparaître des témoins clés comme la conjointe du tueur, Lisa Banfield, et les policiers de la GRC qui ont répondu aux premiers appels de détresse.
Dans le cas de Lisa Banfield, les avocats des familles n’ont pas eu à convaincre les commissaires de la pertinence d’entendre le témoignage de celle qui a partagé la vie du tueur pendant près de deux décennies et qui était seule avec lui dans les heures qui ont précédé la fusillade.
La commission avait déjà tenté à plusieurs occasions de rencontrer la femme de 53 ans.
« La question n’a jamais été de savoir si nous voulions parler à Lisa Banfield, mais à quel moment nous pourrions le faire. »
Les commissaires attendaient, pour relancer Lisa Banfield, qu’elle subisse d’ici quelques semaines le procès criminel qui la retenait de collaborer à l’enquête publique. Elle était accusée d’avoir fourni illégalement des munitions à son conjoint dans les semaines précédant la tuerie.
Mais un revirement inattendu devant la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse a fait débloquer l’affaire plus rapidement que prévu. Le ministère public a accepté de retirer l’accusation à condition que Lisa Banfield suive un programme de justice réparatrice.
En revanche, les demandes de comparution des policiers de la GRC qui ont répondu aux premiers appels à Portapique n’ont pas fait l’unanimité.
Les commissaires ont dû trancher la question après avoir entendu les arguments des avocats des proches des victimes qui réclament que toutes les zones grises de la tuerie soient éclaircies, et les arguments des avocats des policiers qui s’opposent à la comparution de leurs clients pour éviter de leur faire revivre le traumatisme de cette nuit d’horreur.
Les commissaires Michael MacDonald, Leanne Fitch et Kim Stanton ont plutôt penché du côté des familles des victimes.
« Tenir compte des traumatismes subis ne veut pas dire qu’on renonce à entendre le témoignage d’une personne. Ça veut dire qu’on doit réfléchir soigneusement à la façon dont on entend le témoignage d’une personne. »
La Commission des pertes massives assignera à comparaître en groupe les agents Stuart Beselt, Adam Merchant et Aaron Patton, qui sont entrés à pied dans Portapique, alors que le tueur s’y trouvait probablement toujours. Elle appellera aussi à témoigner individuellement l’ex-gendarme Vicki Colford, qui a monté la garde à l’entrée du village dans les premières heures de la tuerie, et qui a depuis pris sa retraite.
Les sergents d’état-major Addie MacCallum, Steve Halliday, Brian Rehill et Jeff West, ainsi que le sergent Andrew O’Brien, qui ont commandé l’intervention policière à distance, seront aussi appelés à témoigner.
Les noms de quatre hauts responsables de la GRC, y compris la commissaire Brenda Lucki, ont par ailleurs été ajoutés par les commissaires à la liste des témoins.
Des « garanties partielles », dit un avocat
Un avocat qui représente une vingtaine de proches des victimes de la tuerie, Me Michael Scott, dit se prudemment optimiste
pour la suite des choses. Il se demande s’il pourra contre-interroger les témoins comme le souhaitent ses clients. Ce sont des garanties partielles que nous entendrons probablement les témoins, mais à une date ultérieure et non précisée
, nuance-t-il.
Ceci dit, pour une commission d’enquête qui a vécu une grave crise de confiance il y a quelques semaines à peine, l’expression d’un optimisme prudent de la part de certains participants parmi les plus critiques est sans doute un pas dans la bonne direction.
Reference-ici.radio-canada.ca