Voyage au rythme des tambours, du Nigeria à The Pas | Le Mois de l’histoire des Noirs dans l’Ouest canadien


Il est tard ce soir-là dans le hall de l’Université du Nord à The Pas. Toutes les lumières sont éteintes; seul le hall est illuminé.

Dans l’embrasure de la porte d’entrée apparaît une silhouette imposante. L’œil rieur sous son masque, Michael Bignell s’excuse : Désolé, je reviens de Winnipeg…

Il y a quelques jours à peine, ce membre et conseiller de la Nation crie d’Opaskwayak à The Pas a participé à un moment historique. Pour la première fois de l’histoire du Manitoba, il a ouvert le discours du Trône de la première ministre Heather Stefanson accompagné de son tambour et d’un chant autochtone, symbole d’un chemin entamé vers la réconciliation.

Ce tambour, Michael l’a sous le bras. Et de l’autre côté de la pièce, Joseph Atoyebi, originaire du Nigeria, a les yeux rivés sur l’instrument de son compagnon du jour.

Cette rencontre, les deux hommes en ont discuté, mais ils n’ont jamais pu la concrétiser.

Joseph Atoyebi et Michael Bignell en train de jouer de leurs tambours respectifs.

Accompagnés du chant traditionnel de Michael Bignell, les deux tambours battent ensemble la mesure.

Photo : Radio-Canada / Mohamed-Amin Kehel

Tombés dans le tambour lorsqu’ils étaient enfants

C’est à 9 ans que Joseph Atoyebi et Michael Bignell ont eu leur premier contact avec un tambour, dans une église nigériane pour Joseph Atoyebi et au cours d’un pow-wow dans le cas de Michael Bignell. Deux lieux distincts, mais un sentiment similaire partagé à ce moment-là : celui de la plénitude.

J’ai tapé sur le tambour une fois à cet âge-là et me voilà, 28 ans plus tard, chantant et jouant du tambour aussi souvent que je le peux, dit Michael en plaisantant.

Je viens d’une famille de batteurs, raconte Joseph de son côté. Pour moi, ça a été un outil de survie à plusieurs moments dans ma vie.

Cet outil de survie sert aussi de lien avec sa culture d’origine et la tribu yoruba dont il est issu. L’ethnie, majoritairement présente au Nigeria, est aussi implantée dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Bénin, le Ghana ou le Togo.

Joseph Atoyebi souriant et jouant de son tambour.

Dans la culture yoruba, les tambours se divisent entre des tambours «masculins» et des tambours «féminins». Ce sont les tambours féminins qui sont utilisés comme moyen de communication.

Photo : Radio-Canada / Mohamed-Amin Kehel

Au fil des siècles, les Yorubas ont fait du tambour plus qu’un instrument de musique, puisqu’ils l’utilisent comme moyen de communication.

« Le tambour était utilisé historiquement pour chanter les louanges au roi dans la culture yoruba. C’est une longue tradition. »

— Une citation de  Joseph Atoyebi

Sous les doigts habiles des Yorubas, les battements du tambour émettent des notes synonymes de phrases et suivent un code très précis. Ce qui n’est qu’un enchaînement de percussions pour une oreille non initiée devient un poème ou un message caché pour Joseph Atoyebi.

Pour Michael Bignell, le tambour est associé au chant traditionnel. Dans notre culture, les percussions, mais aussi le chant qui les accompagne sont un symbole de notre identité, explique-t-il. Il y a une signification très importante derrière.

« Pour nous, le battement du tambour, c’est comme le battement du cœur de notre mère lorsqu’elle nous porte dans son ventre. C’est un son qui nous transporte dans un confort maternel. »

— Une citation de  Michael Bignell
Portrait de Michael Bignell souriant et jouant de son instrument.

Le 23 novembre, Michael Bignell a ouvert avec son tambour et un chant traditionnel la cérémonie du discours du Trône qui a investi Heather Stefanson comme nouvelle première ministre du Manitoba.

Photo : Radio-Canada / Mohamed-Amin Kehel

Transmettre la passion pour faire vivre la culture

L’amour de Joseph Atoyebi pour son tambour va au-delà du loisir; pour lui, son instrument est aussi devenu un outil d’éducation. Sa mission : transmettre, apprendre et montrer les talents cachés de son tambour aux gens.

C’est dans cet état d’esprit que Joseph Atoyebi a accepté de donner un atelier en ligne à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, en 2021; une initiative qui a été organisée par l’organisme Mall of the Arts, établi à Thompson, et durant laquelle il a pris énormément de plaisir.

Mais lorsqu’on parle du rapport qu’a la jeunesse nigériane à la culture yoruba et à celle du tambour, le professeur est plus pessimiste.

Avec notre passé colonial, la culture occidentale est venue s’imposer comme un symbole de classe sociale supérieure, ce qui a relégué nos cultures ancestrales au second plan, déplore-t-il.

Aux yeux de Michael Bignell aussi, la transmission de l’héritage autochtone aux jeunes de la communauté est un acte important. Le conseiller de la Nation crie d’Opaskwayak donne l’exemple de la fabrication des tambours traditionnels à base de peau d’orignal, entre autres, qu’il enseigne dans sa communauté.

L’objectif est de revenir à la Terre mère, souligne-t-il. Parfois, les jeunes générations, et parfois les moins jeunes aussi ne comprennent pas ce rapport à la nature, donc avec le tambour, c’est une manière ludique d’essayer de réexpliquer cette importance.

Joseph Atoyebi et Michael Bignell s'échangent leurs tambours en souriant.

Aimantés par l’instrument de l’autre, Joseph Atoyebi et Michael Bignell ne résistent pas à la tentation de s’échanger leurs tambours.

Photo : Radio-Canada / Mohamed-Amin Kehel

Pour symboliser cette passion pour la transmission, dans un élan commun, Joseph Atoyebi et Michael Bignell ont échangé leurs tambours.

Au moment où j’ai vu son tambour, mon instinct de batteur a tout de suite voulu le prendre, l’essayer, lâche Joseph dans un éclat de rire.

Lui, le Nigérian installé à The Pas depuis quatre ans, tient l’instrument de son hôte canadien et en joue grâce à lui. Comme un effet miroir, Michael Bignell – lié de façon ancestrale et spirituelle à cette terre depuis des siècles, voire des millénaires – honore le tambour de son invité, importé depuis l’autre côté de l’Atlantique.

Célébrons ensemble, combinons notre amour pour les tambours, et c’est avec cette énergie que nous pourrons sortir de ces temps difficiles aussi, conclut le natif de The Pas.



Reference-ici.radio-canada.ca

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