Recruter et retenir des travailleurs étrangers, un casse-tête en Abitibi


On est gros, mais on ne peut pas les accoter côté salaire, les avantages sociaux également. C’est fou comment la compétition est là, dit Marika Thibault, coordonnatrice des ressources humaines.

Même son de cloche chez Adria, une entreprise d’un peu moins de 100 employés qui fabrique des équipements électriques de haute puissance, notamment vendus aux minières. On a des salaires concurrentiels, cependant, c’est très dur de compétitionner avec ces grandes machines, lance Stéphanie Baril, elle aussi aux ressources humaines.

La pénurie de main-d’œuvre est aiguë en Abitibi-Témiscamingue. Plus de 4300 postes sont présentement vacants dans la région et le taux de chômage est au plancher, à 3,4 %, deux points sous la moyenne nationale.

Dans l’ombre des géants miniers, plusieurs PME abitibiennes doivent se tourner vers l’immigration pour pourvoir leurs postes vacants. Adria attend avec impatience l’arrivée de 10 travailleurs en provenance du Mexique et de la Colombie. Les recruter n’a pas été de tout repos.

C’est comme faire un saut en parachute. Tu dois défricher toute l’information et tu es un peu laissé à toi-même, raconte Stéphanie Baril. J’ai passé aux alentours de huit à neuf mois simplement pour créer un réseau de contacts, trouver toute l’information dont j’avais besoin pour entamer mes démarches de recrutement.

Depuis près d’un an, le centre local de développement (CLD) de Rouyn-Noranda accompagne les entreprises à la recherche de travailleurs étrangers, ce qui a permis à Thibault GM d’en recruter une cinquantaine. Les besoins sont là, ils sont grands. Nous avons été capables d’en soutenir une partie, mais il y a encore beaucoup de place pour soutenir les besoins des entreprises, dit la directrice générale, Mariève Migneault.

Quitter le Québec pour obtenir une résidence permanente

Marika Thibault en entrevue avec Radio-Canada.

Les entreprises de l’Abitibi s’arrachent les travailleurs, note Marika Thibault, coordonnatrice aux ressources humaines chez Thibault GM.

Photo : Radio-Canada

Thibault GM a embauché une firme de recrutement en 2016 chargée de trouver trois mécaniciens aux Philippines. Les deux premiers sont arrivés en mai 2018, l’autre un an plus tard. Mais à l’issue de ce long processus, un seul d’entre eux travaille toujours sur place.

« Faire venir trois travailleurs, c’est à peu près 40 000 $. Donc le retour sur investissement présentement est zéro profitable. »

— Une citation de  Marika Thibault, coordonnatrice aux ressources humaines chez Thibault GM

Un des mécaniciens a démissionné pour un nouvel employeur, et l’autre pour aller vivre en Ontario, afin d’obtenir sa résidence permanente plus rapidement. Il avait vu les délais ici, comment c’était ardu, et le français, les niveaux de français au Québec, c’est très dur. Il a décidé d’aller en Ontario pour la voie express, dit la coordonnatrice aux ressources humaines.

Le travailleur en question parlait anglais, mais ne maîtrisait pas le français, ce qui l’aurait empêché d’obtenir sa résidence permanente au Québec.

Le seul des trois mécaniciens philippins toujours employé de Thibault GM est dans la même situation.

Augusto Valencia a débarqué en Abitibi il y a près de trois ans. Il aimerait bien que sa femme et ses deux fils viennent le rejoindre au Canada. Mais pour ce faire, il doit obtenir sa résidence permanente, avec l’exigence de parler la langue officielle du Québec.

Nous devons apprendre le français ici au Québec, mais c’est très difficile pour moi, confie-t-il, lors d’une entrevue en anglais, langue dans laquelle il s’exprime relativement bien. C’est d’ailleurs en anglais qu’il interagit avec ses collègues du garage. Il n’a pas encore commencé ses cours de francisation, disant qu’il est trop fatigué après ses journées de travail.

Un mécanicien en train d'inspecter la roue d'un véhicule.

Augusto Valencia n’écarte pas la possibilité de quitter lui aussi le Québec.

Photo : Radio-Canada

Il avoue bien candidement qu’il pourrait lui aussi quitter le Québec.

« Si c’est trop difficile pour moi d’obtenir ma résidence permanente, peut-être que je regarderai pour une autre province. »

— Une citation de  Augusto Valencia, mécanicien chez Thibault GM

Des changements réclamés

La mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, et le CLD de la ville réclament une simplification des démarches de recrutement et une voie accélérée vers la résidence permanente pour les travailleurs étrangers.

« On mise sur l’immigration économique, mais quelque part, il va falloir que le gouvernement allège certains processus. C’est les délais et la paperasse qui n’en finit plus, c’est très très très lourd. »

— Une citation de  Diane Dallaire, mairesse de Rouyn-Noranda

À Rouyn-Noranda, on souhaite notamment la mise en place d’un programme similaire au Programme pilote d’immigration des régions rurales et du Nord, mis sur pied par le gouvernement fédéral. Depuis 2019, il permet aux communautés participantes de sélectionner elles-mêmes des candidats pour la résidence permanente, selon leurs besoins en main-d’œuvre.

Diane Dallaire vue de face, en entrevue avec Radio-Canada.

La mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, aimerait que le gouvernement allège certains processus d’immigration pour faciliter le recrutement de travailleurs étrangers.

Photo : Radio-Canada

Ce programme actuellement est offert à Timmins, Sudbury, North Bay et Thunder Bay, qui sont toutes également des communautés minières très, très proches d’ici, indique la responsable de la main-d’œuvre et de l’immigration du CLD, Claude Thibault. Mais il n’est pas offert au Québec, puisque l’immigration économique relève du gouvernement provincial.

En deux ans, le programme a permis à la ville ontarienne de Timmins, située à 200 km de Rouyn-Noranda, de sélectionner 166 candidats qui ont ensuite été recommandés au gouvernement fédéral pour un parcours d’immigration accéléré. La résidence permanente est assurée à l’intérieur de six mois, alors qu’ici, c’est un processus qui va jusqu’à 36 mois, déplore Claude Thibault.

Diane Dallaire aimerait bien voir ce genre de programme mis en œuvre au Québec. Est-ce qu’il serait possible pour certains domaines d’emploi d’avoir un projet pilote, par exemple, où on va avoir une démarche accélérée? Parce que c’est maintenant qu’on a des besoins de main-d’œuvre. Des délais de deux ans, c’est trop long, dit-elle.

Le centre local de développement souhaite que certains corps de métier très demandés – comme mécanicien ou soudeur – soient priorisés. Selon l’organisation, les exigences linguistiques pour ce genre de postes, qui comprennent peu d’interactions avec des clients, pourraient être revues à la baisse.

Québec a déjà accepté de telles exemptions dans le cadre de programmes pilotes pour accueillir des préposés aux bénéficiaires ainsi que des travailleurs dans les secteurs de la transformation alimentaire et des technologies de l’information.



Reference-ici.radio-canada.ca

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