Ottawa et les réfugiés ukrainiens : où est le plan?


Il s’agit du moyen le plus simple, rapide et efficace pour les Ukrainiens de venir au Canada, précisait le communiqué du 3 mars.

Ce jour-là, au moment où le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, déclarait : nous les accueillerons à bras ouverts, ils étaient un million à avoir quitté leur terre pour un des pays limitrophes de l’Ukraine. Depuis l’annonce d’Ottawa, leur nombre a déjà plus que doublé à la frontière.

La promesse d’accueillir cette vague de réfugiés ukrainiens survient alors que le Canada est loin d’avoir réalisé son projet d’accueillir 40 000 demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan, un retard qui continue de susciter des critiques.

La confusion et le chaos ont défini l’effort du Canada pour réinstaller les réfugiés depuis la prise du pays par les talibans.

Avant même que le gouvernement Trudeau offre son aide aux Ukrainiens, seulement 7550 Afghans étaient arrivés au Canada.

En a-t-on tiré des leçons? se demande Jane Boulden, professeure à l’Université Queen’s. Bouger vite est important lorsque la situation évolue rapidement sur le terrain. C’est une des leçons que le Canada devrait avoir tiré. Je ne suis pas convaincue qu’il a appris.

Si tout se passe bien, il faudra attendre une autre semaine avant que le programme Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine entre en vigueur. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Ottawa commencera à traiter les demandes des réfugiés Ukrainiens. Le ministère estime qu’il faudra par la suite deux semaines en moyenne aux demandeurs pour obtenir la permission d’entrer au Canada.

C’est donc dire qu’il pourrait s’écouler au minimum un mois entre l’annonce du programme et le moment où les premiers Ukrainiens en exil obtiendront le feu vert du gouvernement. Urgence?

Ce n’est pas normal. Des semaines encore à attendre, c’est ridicule. Les Ukrainiens n’ont pas le luxe d’attendre, déplore l’avocat Stéphane Handfield, spécialiste du droit des réfugiés.

« On dirait qu’ils ne sont pas capables de prendre de décisions et de se retourner sur un 10 sous. Est-ce qu’on a les bonnes personnes aux bonnes places pour prendre les bonnes décisions rapidement? »

— Une citation de  Stéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration
Des réfugiés tentent de rester au chaud.

Des réfugiés tentent de rester au chaud après avoir fui l’invasion russe en Ukraine, au poste-frontière de Medyka en Pologne.

Photo : AP / Visar Kryeziu

Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté cherche à se faire rassurant pour la suite. Il dit disposer de ressources nécessaires en Europe pour traiter les demandes et pourrait au besoin accroître le personnel.

Encore faut-il que ces réfugiés puissent arriver au Canada. Or, qu’en est-il de la logistique de transport? Ottawa optera-t-il pour un pont aérien comme il l’avait fait dans le cas de la Syrie ou du Liban? Le gouvernement n’a toujours pas indiqué comment il comptait s’y prendre et les réponses qu’il a offertes jusqu’ici sont restées vagues.

Des experts et des organisations craignent de plus en plus qu’Ottawa soit déjà pris au dépourvu. Le nombre de réfugiés n’a cessé de bondir et le gouvernement canadien, faut-il le rappeler, n’a pas prévu de plafond quant au nombre d’Ukrainiens pouvant présenter une demande.

On improvise et on ne met pas de ressources dans ce ministère-là, parce que le ministère de l’immigration, ce n’est pas une source de revenus, c’est une source de dépenses, se désole Stéphane Handfield.

Un homme tient son enfant dans ses bras alors que des familles ukrainiennes attendent d'entrer dans un camp de réfugiés à Chisinau, en Moldavie.

Un homme tient son enfant dans ses bras alors que des familles, qui ont fui l’Ukraine en raison de l’invasion russe, attendent d’entrer dans un camp de réfugiés à Chisinau, en Moldavie.

Photo : afp via getty images / NIKOLAY DOYCHINOV

Plus le conflit s’intensifie, plus les Ukrainiens s’engagent sur les routes de l’exil. Et dans la foulée de cette crise, il existe un mot d’ordre au ministère pour que les dossiers ukrainiens soient traités en priorité. Cela soulève une autre question. Comment répondre à cette situation sans que cela se fasse au détriment de réfugiés d’autres pays, comme l’Afghanistan, qui devaient déjà prendre leur mal en patience?

Il faut sérieusement se demander si le Canada a la marge de manœuvre pour livrer son engagement envers les Afghans. C’est sans parler des 35 autres situations de réfugiés qui existent dans le monde, souligne James Milner, spécialiste en matière de réfugiés à l’Université Carleton.

Ouvrir les bras est une chose, composer avec tout ce qui est en amont en est une autre. Sur le plan politique, les libéraux, au pouvoir depuis 2015, n’ont pas l’excuse d’un gouvernement fraîchement élu. Il y a eu la Syrie, l’Afghanistan et maintenant l’Ukraine. Où est le plan?

Ce qui se passe est certainement un test important, considère Jane Boulden.

Au-delà des promesses et de la bonne volonté du gouvernement, cette question fondamentale pourrait le rattraper assez rapidement.



Reference-ici.radio-canada.ca

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