L’Ontario devance le Québec en matière d’accès aux soins de santé


Qui n’a pas entendu parler au Québec de ces rendez-vous qu’il faut prendre pour obtenir une plage de sans rendez-vous? Ou de ces heures d’attente perdues au téléphone pour obtenir un vaccin ou une prise de sang?

Marylie Crépeau, qui a accouché il y a sept mois de son deuxième enfant, apprécie le soutien qu’elle a reçu à sa clinique, mais déplore du même souffle les nombreux obstacles qu’elle a dû affronter pour avoir accès à ces soins. Quand j’ai accès à mon médecin, là ça va bien, je me sens écoutée, je me sens épaulée, mais entrer dans le bureau, c’est ça qui est difficile. Une fois que t’es rentrée, ça va bien.

De l’autre côté de la rivière des Outaouais, Jessica Benedicto, 37 ans, peut s’attendre à voir son médecin, un médecin de garde ou une infirmière praticienne à l’intérieur de 24 heures.

Je trouve que c’est assez rapide. J’appelle ou j’envoie un courriel, et ils vont me répondre avant la fin de la journée pour m’orienter.

Pas un problème d’argent

L’expérience de patientes comme Marylie Crépeau est loin d’être anecdotique, reconnaît Denis Chênevert, directeur du Pôle Santé à HEC Montréal. Depuis des années, dit-il, l’accès aux soins de première ligne au Québec est pénible.

Le reportage d’Alex Boissonneault

Ce n’est pourtant pas faute de ressources financières. En 2021, le Québec a investi 7913 $ par habitant en santé comparativement à 7773 $ par habitant dans la province voisine, selon les estimations de l’Institut canadien d’information sur la santé (Institut canadien d’information sur la santé) (Nouvelle fenêtre).

Le constat est semblable au chapitre du personnel médical. Toujours selon les données compilées par l’Institut canadien d’information sur la santé, le Québec compte un plus grand nombre de médecins par habitant que l’Ontario.

Alors que le nombre de médecins de famille par 100 000 habitants atteint 129 au Québec, cette proportion s’élève à seulement 115 en Ontario. La situation est semblable pour les médecins spécialistes : Québec en compte 128 par 100 000 habitants, par rapport à 114 en Ontario.

Pourtant, les Québécois sont bien moins nombreux à avoir un médecin de famille que leurs compatriotes de l’Ontario. Alors qu’à peine 78,9 % des Québécois sont inscrits auprès d’un omnipraticien, 90,1 % des Ontariens le sont.

C’est sans compter que chaque médecin voit individuellement moins de patients au Québec qu’en Ontario. Selon un rapport publié juste avant le début de la pandémie par l’Institut canadien d’information sur la santé, en partenariat avec le Fonds du Commonwealth, la médiane du nombre de patients vu par médecin par semaine est de 70 au Québec comparativement à 100 en Ontario.

Cette situation peut s’expliquer par le fait que les omnipraticiens québécois passent moins de temps en clinique que leurs compatriotes ontariens. Gabrielle Côté-Vachon, médecin de famille spécialisée en soins obstétriques dans Lanaudière, admet qu’elle pourrait voir plus de patients si elle passait moins de temps à l’hôpital et plus au bureau. Mais elle ne croit pas que ce serait à l’avantage du patient.

Est-ce que c’est ça qui permettrait à mes patients d’avoir de meilleurs services, je pense pas… Pour moi, la médecine familiale, ça a toujours été de suivre une patiente enceinte, de l’accoucher et de suivre son bébé, expose la Dre Côté-Vachon.

Changer la trajectoire de soins

Peu importe les causes, pour Denis Chênevert, le manque d’accès aux soins primaires est un des plus grands problèmes auxquels fait face actuellement le système de santé québécois. On n’a pas réussi à bien cadrer les accès de première ligne et donc les gens se retrouvent dans l’hôpital, aux urgences alors qu’ils ne devraient pas se retrouver dans ces endroits-là.

Deux personnes, un homme et une femme, assis dans une salle d'attente.

Des patients dans une salle d’attente d’un cabinet médical.

Photo : Radio-Canada

Les cabinets médicaux eux-mêmes n’ont pas toujours les meilleures pratiques lorsqu’on les compare à ceux de l’Ontario et des autres juridictions étudiées. Ainsi, les médecins de famille québécois sont moins nombreux que leurs confrères à permettre à leurs patients de leur soumettre par courriel leurs inquiétudes ou leurs questions.

En effet, ce service n’est disponible qu’auprès de 17 % des médecins québécois et de 30 % des médecins ontariens. À l’échelle des pays sondés, cette proportion atteint 65 %.

Les médecins de l’Ontario et des pays sondés sont aussi plus nombreux à créer des plans de traitements pour leurs patients atteints de maladies chroniques ou à leur remettre des instructions écrites pour la gestion de leurs soins à domicile.

Pour créer de l’efficience, ça prend des soignants qui ont le goût d’investir, de s’investir soi-même, fait remarquer M. Chênevert.

En Ontario, le gouvernement a adopté des changements au mode de rémunération des médecins de famille. Les omnipraticiens peuvent maintenant recevoir une partie de leur revenu en fonction de la prise en charge des patients, ce qui a encouragé une médecin comme Katherine Rouleau, omnipraticienne au Centre médical Wellesley–St-James de Toronto, à privilégier le temps passé en clinique.

Deux femmes entourant un bébé.

Un centre médical en Ontario

Photo : Radio-Canada

Cette approche-là […] est vraiment centrée sur le patient. On se fait une fierté de voir nos patients. On part de la position qu’on veut voir nos patients nous-mêmes et on veut faire de la place pour eux.

Communication déficiente

La communication de l’information médicale fait aussi lourdement défaut au Québec. Les médecins de famille sont ainsi moins nombreux à recevoir des suivis des médecins spécialistes sur les changements apportés à la médication d’un patient à la suite d’une consultation en spécialité. En Ontario, 67 % des omnipraticiens disent être informés de tels changements, contre seulement 30 % au Québec.

Il y a beaucoup d’informations en santé numérique, colligées un peu partout, mais les systèmes ne se parlent pas, commente Denis Chênevert.

La situation n’est pas meilleure en ce qui concerne l’information associée aux hospitalisations. En Ontario, 64 % des médecins de famille sont régulièrement informés lorsqu’un des patients sous leur responsabilité est hospitalisé. Au Québec, cette proportion n’est que de 25 %.

Marylie Crépeau peut en témoigner. Sa fillette Lauralie a dû être hospitalisée pendant près de deux semaines en raison d’une infection respiratoire. Elle a été étonnée d’apprendre, lorsqu’elle a rencontré sa médecin de famille par la suite, que cette dernière n’était pas au courant.

Plus d’infirmières, la solution?

Tous les experts avec qui nous avons parlé estiment que la solution aux problèmes de gestion du Québec passe notamment par une meilleure circulation de l’information et une réorganisation du travail.

Dans certaines communautés de l’Ontario, ce sont les infirmières praticiennes qui donnent presque tous les services de soins primaires. Et elles le font très bien d’ailleurs. Il faut vraiment essayer d’être créatif au niveau de l’équipe pour pouvoir offrir ce qu’il faut à tout le monde, remarque Danielle Martin, directrice du Département de médecine familiale de l’Université de Toronto.

Une infirmière marche avec une patiente.

Une infirmière accompagnant une patiente dans un hôpital.

Photo : Radio-Canada

Encore faut-il du personnel. Le nombre d’infirmières praticiennes en exercice au Québec est nettement inférieur à ce qu’il est dans la province voisine, le taux y étant en 2020 de 8 par 100 000 habitants par rapport à 25 en Ontario. À l’échelle du pays, la proportion est de 18 par 100 000 habitants.

L’expérience ontarienne tend aussi à démontrer qu’il faut valoriser davantage le travail en cabinet, croit la Dre Danielle Martin et sa collègue la Dre Katherine Rouleau.

Au Québec, la Dre Gabrielle Côté-Vachon émet toutefois un bémol. De me priver de l’activité médicale qui me valorise le plus, qui me garde le plus à jour, je pense pas que ce serait rendre service à personne.

Paradoxalement, et en dépit de toutes les lacunes identifiées au Québec, les médecins de famille québécois sont parmi les plus nombreux au pays à estimer que la performance générale du système de santé est bonne, voire très bonne (70 % contre 54 % en Ontario).

Le rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé ne permet toutefois pas de savoir ce que les patients en pensent.

L’Institut canadien d’information sur la santé a publié en 2020, avant le début de la pandémie, un rapport à partir des données de l’Enquête internationale de 2019 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé auprès des médecins de soins primaires. (Nouvelle fenêtre) Des médecins de 11 pays ont participé à cette enquête, soit l’Australie, le Canada, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Le rapport précise, au sujet des données canadiennes, que les échantillons les plus fiables sont ceux du Québec et de l’Ontario en raison du financement supplémentaire fourni par ces provinces.



Reference-ici.radio-canada.ca

Leave a Comment