Justin Trudeau tentera-t-il d’égaler Wilfrid Laurier?


Nous sommes quelques semaines avant Noël. Un article vient de paraître dans le Globe and Mail au sujet des ambitions potentielles de Chrystia Freeland à diriger le Parti libéral du Canada (PLC). 

Derrière des portes closes, au cours d’une réunion du cabinet, Justin Trudeau décide que le moment est venu d’envoyer un coup de semonce aux possibles aspirants au sein du Conseil des ministres. 

Le premier ministre leur dit sans détour être enthousiaste à l’idée de mener une autre campagne à titre de chef. Avertissement ou pas, le signal est clair. Et la remarque ne passe pas inaperçue.

Pour l’instant, selon une source libérale, Justin Trudeau ne donne pas l’impression qu’il a l’intention de partir. Personne ne semble vouloir le pousser vers la sortie non plus. On ne voit pas poindre de factions, souligne une autre source libérale.

Un proche collaborateur du premier ministre est catégorique : Justin Trudeau ne s’en va pas. Le premier ministre est absolument concentré à obtenir des résultats pour les Canadiens sur le climat, l’accès au logement, la santé et la protection de la place du Canada dans le monde.

Selon nos informations, Justin Trudeau caressait le rêve, en s’installant dans la chaise du premier ministre, de passer une dizaine d’années à la tête du gouvernement du Canada. Il a été élu une première fois en 2015, mais ses espoirs de deux mandats majoritaires consécutifs se sont évaporés.

Le premier ministre, Justin Trudeau, et le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos.

Le premier ministre du Canada à la sortie d’une conférence de presse le 12 janvier 2022

Photo : (Sean Kilpatrick/The Canadian Press)

Les détours sur le parcours de Justin Trudeau

Des événements extérieurs l’ont forcé au fil des ans à dévier de ses ambitieux programmes électoraux, que ce soit l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016 ou la pandémie qui fait rage depuis 2020.

Certains écueils venant de l’interne ont aussi érodé ses appuis au pays, que ce soit l’achat de l’oléoduc Trans Mountain en 2018, l’affaire SNC-Lavalin en 2019 ou le dossier WE Charity en 2020. Sans oublier les incidents de blackface qui ont fait surface durant les élections de 2019.

S’il décide de rester, son chemin sera parsemé d’obstacles.

La guerre en Ukraine, par exemple, risque d’ajouter aux pressions inflationnistes qui forcent déjà les Canadiens à réajuster leurs budgets d’épicerie ou de carburant. Que ce soit de la faute du gouvernement fédéral ou non, un électorat aux prises avec des difficultés financières n’est pas toujours tendre à l’égard du gouvernement en place.

L’identité du prochain chef du Parti conservateur – et la réaction de l’électorat au changement à la tête de l’opposition officielle – pourrait aussi jouer un rôle crucial dans la décision de M. Trudeau. 

Si le nouveau chef conservateur fait bouger les sondages d’opinion publique, la pression pourrait s’accroître sur M. Trudeau pour qu’il fasse ses valises, surtout face aux membres du caucus qui ont entendu beaucoup de grogne à l’égard de leur chef lors des dernières élections.

Plusieurs libéraux, toutefois, voient mal Justin Trudeau plier bagage au lieu d’en découdre, par exemple, contre Pierre Poilievre ou Jean Charest.

Scott Reid, directeur des communications de l’ancien premier ministre Paul Martin, affirme que les chefs de parti prennent rarement leur retraite de leur plein gré.

Règle générale, ces gens-là ne quittent pas leur poste à moins que les électeurs leur montrent la porte ou que leur parti les mette dehors, affirme-t-il. Je ne pense pas que Trudeau va partir, à moins qu’il soit absolument obligé de le faire.

L’usure du pouvoir

Justin Trudeau sort de l'autocar et salue la foule, protégé par des agents de sécurité.

Pendant la dernière campagne électorale, des manifestants attendaient la caravane de Justin Trudeau de pied ferme pour lui signifier leur mécontentement.

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Si Justin Trudeau a donné des ailes au Parti libéral du Canada (PLC) lors de l’élection de 2015, son image est devenue de plus en plus clivante. Plusieurs députés ont expliqué à Radio-Canada qu’à la dernière élection, le premier ministre était en tête de liste des doléances exprimées par les électeurs au cours du porte-à-porte. 

Les gens étaient furieux contre Trudeau, et cela s’est transporté aux barrages [des camionneurs], explique un député libéral qui a préféré garder l’anonymat.

« Après six ou sept ans [au pouvoir], les gens ne vous écoutent plus. Je ne crois pas que ce soit sa faute. »

— Une citation de  Un député libéral, sous le couvert de l’anonymat

Récemment, des critiques sur la gestion de la pandémie sont même venues des banquettes libérales. Dans un point de presse qui a fait des vagues en février, le député Joël Lightbound a reproché à son gouvernement d’avoir divisé la population et politisé l’enjeu de la vaccination. Il s’inquiétait aussi du manque de données pour justifier certaines mesures. 

Des échos du caucus libéral laissent poindre une insatisfaction croissante parmi les députés d’arrière-ban de l’Ontario et de l’Atlantique à l’égard de l’ordre du jour du premier ministre, perçu comme trop à gauche. Un grogne persiste quant au style de gestion centralisée du bureau du premier ministre et l’absence de vision à long terme pour le parti au Canada.

Si la crise sanitaire et le convoi des camionneurs ont donné du fil à retordre au premier ministre, plusieurs députés saluent la réponse du gouvernement à la crise ukrainienne.

Un élu libéral, qui a préféré garder l’anonymat, fait remarquer que la vice-première ministre a eu un rôle important à jouer dans cet épisode. [Justin Trudeau] s’appuie sur le carnet de contacts de Chrystia Freeland. C’est un atout énorme, explique-t-il.

Plusieurs libéraux se réjouissent de la performance du trio féminin à la tête de ministères importants : Chrystia Freeland aux Finances, Anita Anand à la Défense et Mélanie Joly aux Affaires étrangères.

Si l’image de Justin Trudeau a pâli depuis 2015, la députée Alexandra Mendès croit qu’il a sauvé la mise en sachant bien s’entourer.

On a tout un front bench! C’est ça qui a sauvé sa crédibilité. Il a choisi les bonnes personnes pour faire le bon travail, explique la députée de Brossard—Saint-Lambert.

Trudeau entouré des ministres Mélanie Joly, Anita Anand  et Chrystia Freeland.

Chrystia Freeland, Mélanie Joly et Anita Anand sont pressenties comme des candidates potentielles à la succession de Justin Trudeau.

Photo : The Canadian Press / Adrian Wyld

Une place pour les aspirant(e)s?

Advenant une course à la direction du PLC, deux questions pourraient s’imposer. 

Premièrement, le prochain chef permanent devrait-il être une femme pour la première fois dans l’histoire du parti? Si la réponse est oui, cela pourrait favoriser Chrystia Freeland, Mélanie Joly ou Anita Anand. 

Deuxièmement, le parti devrait-il faire une rupture avec le règne de Justin Trudeau? Si cette question prime, cela pourrait favoriser un candidat de l’extérieur comme Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada.

Dans une lettre ouverte très remarquée du 7 février dernier, M. Carney avait appelé à des actions musclées du gouvernement fédéral pour mettre fin à l’occupation d’Ottawa par des camionneurs. Les crises ne se règlent pas d’elles-mêmes, avait-il écrit. 

Plusieurs libéraux ont vu dans cette sortie publique un signe clair que l’économiste songe toujours sérieusement à se lancer dans une éventuelle course. 

À l’interne, les noms des ministres François-Philippe Champagne et Marco Mendicino circulent aussi comme candidats potentiels. 

Selon plusieurs sources libérales, Chrystia Freeland pourrait avoir de la difficulté à vendre autre chose que la continuité avec Justin Trudeau. Dans ses apparitions publiques, elle vante régulièrement le bilan du premier ministre. 

Elle a clairement décidé que son meilleur pari, c’était de ne pas offrir un millimètre d’espace entre lui et elle, dit un député libéral.

La course risque d’être relativement courte si les libéraux sont au pouvoir au moment du départ éventuel de M. Trudeau. À la tête d’un Parlement minoritaire, le gouvernement ne pourrait se permettre de prendre trop de temps pour se choisir un chef.

Dans le cas d’une course rapide, une candidate comme Chrystia Freeland, déjà vice-première ministre, aurait un avantage sur ses adversaires.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, avec le premier ministre Justin Trudeau en arrière-plan.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, en compagnie du premier ministre, Justin Trudeau

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Un député libéral confie que les discussions entourant le leadership sont plus récurrentes qu’avant les dernières élections, tout en ajoutant qu’elles sont encore au stade du chuchotement.

La capacité de Justin Trudeau à consolider son héritage politique, les sondages et l’attrait suscité par le prochain chef conservateur pourraient avoir un impact sur son avenir. Pour l’instant, le chef libéral semble maître de sa décision. 

Ça ne m’étonnerait pas du tout qu’il tente d’égaler le record de Wilfrid Laurier, déclare la députée libérale Alexandra Mendès à propos d’un possible quatrième mandat de Justin Trudeau. 

Toutefois, elle ne manque pas de rappeler que le parti est plus grand qu’un seul individu.



Reference-ici.radio-canada.ca

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