Des milliards de personnes et tous les écosystèmes souffrent déjà des changements climatiques


Les preuves scientifiques cumulatives sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire, tranche le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat dans ses plus récents travaux, rendus publics lundi.

« Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié aujourd’hui est un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques. »

— Une citation de  Antonio Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies

Cette abdication de leadership est criminelle, a dit par voie de communiqué le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, accusant les plus grands pollueurs du monde qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons.

Des événements climatiques extrêmes comme des vagues de chaleur, des sécheresses, des feux de forêt et des inondations causent des impacts étendus et omniprésents sur les écosystèmes, les personnes, les établissements et les infrastructures, note le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Un panache de fumée s'échappe d'une forêt.

La Colombie-Britannique a été ravagée par les feux de forêt l’été dernier.

Photo : Twitter / BC Wildfire

Ces effets se produisent beaucoup plus rapidement et ils sont beaucoup plus graves que nous ne l’avions initialement pensé, a déclaré en entrevue Sherilee Harper, professeure à l’École de Santé publique de l’Université de l’Alberta et l’une des autrices principales du rapport.

Et ces risques sont appelés à se multiplier à moyen et à long terme, tout dépendant de l’ampleur des efforts d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Ils seront aussi aggravés par la combinaison de plus en plus fréquente de multiples événements climatiques extrêmes ayant lieu en même temps.

Le nouveau rapport de l’ONU sur le climat nous révèle qu’un peu plus d’un milliard d’humains vont se retrouver dans des zones vulnérables près des côtes d’ici 2050. On en parle avec le ministre fédéral de l’Environnement Steven Guilbeault

En plus des conséquences directes associées aux catastrophes naturelles sur l’économie, la santé, et les écosystèmes, les changements climatiques vont augmenter les risques d’insécurité alimentaire, de maladie, et de problèmes de santé mentale, selon le rapport.

Déjà, environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique, note le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mais tous ne sont pas égaux devant ses répercussions.

L'enfant joue dans le sable près de sa maison, qui est construite à côté de l'eau et entourée d'un muret de pierre.

Un enfant joue sur la plage près de sa maison dans le village de Taborio, à Kiribati, dans l’océan Pacifique. Avec la hausse du niveau des océans, on craint que le pays soit inhabitable d’ici 60 ans.

Photo : Reuters / David Gray

Certaines régions font face à des risques disproportionnés, et des populations vulnérables sont plus touchées. Celles-ci sont concentrées en Afrique de l’Ouest, centrale, et de l’Est, en Asie du Sud, en Amérique centrale et du Sud, dans l’Arctique, de même que parmi les États insulaires.

De plus, la vulnérabilité est exacerbée par l’inégalité et la marginalisation liées au sexe, à l’ethnicité, au faible revenu ou à une combinaison de ces facteurs, précise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, en particulier pour de nombreux peuples autochtones.

Ce nouveau portrait de la situation se concentre sur les effets, l’adaptation et la vulnérabilité aux changements climatiques. Il s’agit de la contribution du Groupe de travail II, composé de centaines de scientifiques de partout dans le monde, au sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Le Groupe de travail I, qui se concentre sur les avancées les plus récentes des sciences climatiques, a remis sa contribution en août 2021 (Nouvelle fenêtre). Déjà, celle-ci notait l’ampleur du réchauffement en cours, qui devrait atteindre 1,5 °C de plus que la température moyenne de l’ère préindustrielle d’ici 2030, soit 10 ans plus tôt qu’estimé auparavant.

Des touristes observent ce qu'il reste d'un glacier.

De nombreux glaciers sont tout simplement condamnés à disparaître à cause du rythme du réchauffement de la planète (archives).

Photo : Getty Images / Mario Tama

L’urgence d’agir sur deux fronts

La dernière contribution du Groupe de travail II remontait à 2014. Depuis, le pronostic s’est détérioré, et les catastrophes climatiques peuvent être attribuées avec plus de certitude aux changements climatiques causés par les activités humaines, d’où l’importance d’agir au plus vite.

Tout retard supplémentaire dans les efforts d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques passera à côté d’une courte occasion d’agir, indique le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Certains de ces effets, comme l’extinction d’espèces, sont déjà irréversibles. D’autres, comme les conséquences des changements dans les écosystèmes arctiques liées au dégel du pergélisol, approchent du point de non-retour. Néanmoins, il est primordial de ne pas baisser les bras, selon les experts, puisque chaque degré compte.

Un immeuble construit sur des pilotis effondré sur la toundra.

Le dégel du pergélisol menace de nombreuses infrastructures construites dans les régions polaires (archives).

Photo : Reuters / Maxim Shemetov

Le message de ce rapport est que plus la planète se réchauffe, plus les risques des impacts sont grands, a expliqué en entrevue Simon Donner, professeur au Département de géographie de l’Université de la Colombie-Britannique et auteur principal du rapport.

Notre objectif devrait vraiment être de réduire le réchauffement autant que possible. Parce que les effets à 2 degrés sont certainement pires que les effets à 1,5 degré, mais ils sont quand même mieux que les effets à 3 degrés, a-t-il ajouté.

Le Groupe de travail III, dont les efforts portent sur l’atténuation des changements climatiques, ne doit rendre sa contribution que plus tard ce printemps.

Déjà, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat note que des actions à court terme qui limitent le réchauffement climatique à près de 1,5 °C réduiraient considérablement les pertes et dommages projetés […] par rapport à des niveaux de réchauffement plus élevés.

Nous pouvons arrêter la hausse de la température en trois ans, une fois que nous aurons éliminé les émissions [de gaz à effet de serre], a dit lors d’une conférence récente (Nouvelle fenêtre) Michael Mann, climatologue de l’Université Penn State et ancien auteur principal du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cela signifie donc que nous ne sommes pas nécessairement condamnés, après tout.

Un camion roule l'installation d'extraction des sables bitumineux de Syncrude près de la ville de Fort McMurray, en Alberta, le 1er juin 2014.

Les sables bitumineux de l’Alberta sont l’une des plus importantes sources de pollution atmosphérique (archives).

Photo : La Presse canadienne / JASON FRANSON

Des actions en ce sens, même rapides et draconiennes, ne pourront cependant pas éliminer tous les risques, tels que la hausse bien entamée du niveau de la mer, d’où l’importance de l’adaptation. Inversement, l’efficacité de l’adaptation diminuera avec l’augmentation du réchauffement, prévient le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Plus la planète se réchauffe, plus nous commençons à nous heurter à des limites technologiques, biologiques, politiques et sociales à ce que nous pouvons faire pour nous adapter, a détaillé le professeur Donner.

Soulignant l’importance de s’attaquer aux deux fronts à la fois, M. Guterres a appelé à l’abandon du charbon et des autres sources d’énergie fossile, tout en assurant que l’investissement dans l’adaptation aux changements climatiques marche.

L’adaptation et l’atténuation doivent être poursuivies avec la même vigueur et la même urgence, a ajouté le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies.

Si le Groupe d’experts voit des progrès dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation aux changements climatiques, ceux-ci sont répartis de manière inégale et des écarts subsistent avec ce qui est nécessaire pour répondre adéquatement à la menace.

« Actuellement, très franchement, nous ne sommes pas sur la bonne voie pour résister aux impacts des changements climatiques à l’avenir. »

— Une citation de  Sherilee Harper, professeure à l’École de Santé publique de l’Université de l’Alberta

La professeure Harper, qui est aussi titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les changements climatiques et la santé souligne que le rapport montre également que si nous agissons maintenant, nous pouvons nous mettre sur la bonne voie.

Parmi les actions à prendre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat pointe vers des mesures comme une irrigation efficace des terres agricoles et des systèmes d’alerte précoce en cas d’inondations, mais insiste aussi sur l’importance des services rendus par les écosystèmes naturels, comme la rétention d’eau par les milieux humides ou la séquestration du carbone et la protection contre les températures extrêmes offertes par le couvert végétal.

Un étang

Les milieux humides retiennent bien les eaux, ce qui peut aider à atténuer les effets des dérèglements climatiques (archives).

Photo : Radio-Canada

La sauvegarde de la biodiversité et des écosystèmes est fondamentale pour un développement résilient au changement climatique, mentionne le rapport, qui admet du même coup que ceux-ci sont largement menacés, des récifs coralliens jusqu’à la plupart des forêts.

Des analyses récentes suggèrent que le maintien de la résilience de la biodiversité et des services écosystémiques à l’échelle mondiale dépend de la conservation efficace et équitable d’environ 30 % à 50 % des zones terrestres, d’eau douce et océaniques de la Terre, avance le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Actuellement, moins de 15 % des terres, 21 % des eaux douces et 8 % des océans de la planète sont protégés, selon le groupe d’experts.

Le Canada n’est pas épargné

Il y a un besoin urgent d’investir dans la résilience climatique, un besoin de s’adapter maintenant, a déclaré sans détour en entrevue Paul Kovacs, professeur d’économie à l’Université Western Ontario et auteur principal du cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié en 2014. À mon avis, nous n’en faisons pas assez en ce moment.

De nombreux scientifiques et observateurs établissent des liens entre les changements climatiques causés par les activités humaines et les catastrophes qui ont eu lieu au pays cette année, notamment des inondations sans précédent et une vague de chaleur ayant tué des centaines de personnes en Colombie-Britannique, une sécheresse historique dans les Prairies et une saison des feux de forêts dévastatrices dans plusieurs provinces, dont l’Ontario.

Un champ complètement sec

La sécheresse de l’été 2021 dans les Prairies est l’une des pires de l’histoire (archives).

Photo : Radio-Canada

Si certains de ces événements sont survenus trop récemment pour être pris en compte dans le dernier rapport, celui-ci reconnaît que l’augmentation de l’intensité et du nombre de ces événements climatiques extrêmes fait déjà des ravages au Canada. D’autres phénomènes moins spectaculaires, comme le dégel du pergélisol ou la hausse graduelle du niveau de la mer, représentent également des menaces pour les infrastructures du pays.

Les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat montrent aussi que les Canadiens ne sont pas à l’abri de la hausse de la prévalence de certaines maladies, comme la maladie de Lyme, d’une augmentation de l’insécurité alimentaire causée par les perturbations de la chaîne de production et du stress et de l’anxiété induits par les changements climatiques.

« Nous ne sommes pas adaptés au climat d’aujourd’hui […] et les changements climatiques vont aggraver les problèmes actuels. »

— Une citation de  Paul Kovacs, professeur d’économie à l’Université Western Ontario et directeur de l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques (IPSC)

Selon ses calculs, le Canada a subi environ 5 milliards de dollars de dommages évitables liés à des événements climatiques extrêmes, seulement cette année. Ces chiffres ont doublé tous les 5 à 10 ans pour le Canada et le reste du monde dans les 40 dernières années, a précisé le professeur Kovacs.

Pourtant, les solutions existent, sont connues, et encore et encore, nous constatons que les avantages sont bien plus importants que les coûts. Les arguments économiques en faveur de l’adaptation au climat d’aujourd’hui sont extrêmement solides, selon lui.

La mise en œuvre à grande échelle de ces solutions tarde, malgré l’existence d’initiatives locales.

Le Canada prépare une Stratégie nationale d’adaptation (Nouvelle fenêtre), qui doit être terminée cette année. Celle-ci sera utile, s’entendent les experts consultés, mais elle arrivera bien tard. Je reste déçu que le gouvernement du Canada n’ait pas été en mesure d’établir une stratégie d’adaptation il y a 10 ou 20 ans, a déclaré le professeur Kovacs dans un courriel suivant l’entrevue.

La bonne chose, c’est que les efforts d’adaptation se multiplient partout au Canada, et cela me donne de l’espoir, a cependant souligné la professeure Harper.



Reference-ici.radio-canada.ca

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