Dénazifier l’Ukraine? La propagande de Poutine à l’épreuve de la réalité | Guerre en Ukraine


Quand Poutine parle de dénazifier, il fait référence à un nationalisme antirusse porté au devant la scène après la révolution orange de 2004, explique Yann Brault, professeur d’études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean.

C’est à partir de ce moment que le nationaliste ukrainien Stepan Bandera est réhabilité, notamment par le président ukrainien Viktor Iouchtchenko. Héros de la résistance ukrainienne pendant la Seconde Guerre mondiale, leader de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), Bandera était aussi collaborateur de l’Allemagne nazie. Des villes et des artères portent aujourd’hui son nom en Ukraine.

Ce sont ses partisans (les bandéristes) qui, selon la propagande russe, auraient, avec l’aide des États-Unis, orchestré un coup d’État en 2014 lors de la révolution de Maïdan, qui a chassé du pouvoir le président prorusse Viktor Ianoukovitch. En Ukraine, cette révolution est plutôt vue comme un mouvement populaire spontané, à l’origine de la guerre du Donbass et de l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie.

Bien sûr que Poutine exagère en présentant l’Ukraine comme nazie, affirme Yann Brault, soulignant que ce pays a, en 2019, porté au pouvoir le président juif Volodymyr Zelensky, élu avec 73 % des voix au second tour.

Il y a cependant quelque chose à dire sur l’incompatibilité du narratif ukrainien, qui réhabilite un collaborateur nazi, par opposition au narratif russe ou soviétique [l’URSS a combattu le Troisième Reich], admet-il.

Ce nationalisme antirusse bandériste trouve écho dans des partis politiques d’extrême droite, dont Svoboda, né en 1991, ou encore Secteur droit, apparu dans le sillage de la révolution de Maïdan. 

Ces partis ne récoltent cependant qu’une infime partie des voix aux élections. Aux dernières présidentielles, en 2019, le candidat de Svoboda, par exemple, n’a reçu que 1,62 % des voix.

Le bataillon Azov et le néonationalisme

Jusqu’en 2018-2019, souligne Adrien Nonjon, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris, la propagande russe s’est surtout intéressée à ces deux partis politiques.

Récemment, toutefois, elle s’est tournée vers le bataillon Azov, un regroupement d’extrême droite à l’origine, dont le logo est une référence claire à l’iconographie nazie, et son parti politique Corps national. Un mouvement qui, contrairement à Svoboda, principalement ancré dans l’ouest, recrute dans toute l’Ukraine.

Fondé par le néonazi Andreï Biletsky, Azov compterait aujourd’hui de 4000 à 6000 combattants sur les quelque 200 000 soldats qui composent l’armée ukrainienne. Ils étaient environ 800 volontaires en 2014, année où le bataillon a été intégré à l’armée régulière, à l’époque faible et désorganisée.

S’étant illustré à la guerre du Donbass, ayant repris la ville de Marioupol aux séparatistes prorusses, Azov est une des structures combattantes les plus disciplinées, parmi les plus attirantes pour les nouvelles recrues. Le groupe défend à nouveau, depuis le début de l’invasion russe, la ville portuaire russophone, aux côtés d’unités des gardes-frontières et de l’infanterie de la marine, selon le maire cité récemment par l’Agence France-Presse.

Le bataillon Azov de 2022 n’est cependant plus celui de 2014. En effet, s’il est vrai qu’il contient toujours des éléments radicaux, explique Adrien Nonjon, spécialiste de l’Ukraine et de l’extrême-droite, il représente surtout un regroupement hétéroclite, ayant dû diversifier son recrutement depuis son intégration à la garde nationale ukrainienne.

Une grande partie du régiment, aujourd’hui, est composée de personnes qui n’ont rien à voir avec le néonazisme, mais il y  a un noyau dur de néonazis. Il y a de tout : des néonazis, des monarchistes, des orthodoxes, des païens, des écofascistes, ajoute-t-il.

Depuis le début de la guerre, des images de combattants Azov arborant la croix gammée ou réalisant des saluts nazis circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Des internautes utilisant des logiciels spécialisés ont noté que certaines sont manipulées ou datent d’il y a plusieurs années, comme celle d’un groupe de soldats armés où se côtoient un drapeau nazi et un étendard d’Azov.

Des publications loin d’être anodines dans une guerre où la désinformation joue un rôle clé.

Beaucoup d'internautes ont soulevé que cette photo, qui montre des soldats brandissant un drapeau du bataillon Azov, date de 2014 et a été modifiée.

Beaucoup d’internautes ont soulevé que cette photo, qui montre des soldats brandissant un drapeau du bataillon Azov, date de 2014 et a été modifiée.

Photo : Twitter

L’effet de la propagande russe est important. Le cas du régiment Azov a été utilisé pour dépeindre l’Ukraine comme nazie, mais ça reste très minoritaire dans le mouvement de défense de l’Ukraine. Le rôle de cette organisation demeure surévalué, souligne le directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, Louis Audet Gosselin.

Ce dernier estime néanmoins qu’à mesure que le conflit s’éternise, le risque de voir Azov recruter des combattants étrangers issus de groupes suprémacistes ou néonazis demeure plausible. On pourrait faire appel à des unités plus irrégulières, ce qui favorise des courants extrémistes, précise-t-il.

De tels groupes ailleurs en Europe auraient, dans les derniers jours, exhorté leurs membres à se joindre à la lutte pour défendre l’Ukraine, selon l’organisme SITE Intelligence Group. Des volontaires étrangers issus de la mouvance d’extrême droite sont déjà venus prêter main-forte au bataillon Azov par le passé.

Il y a une tendance dans les milieux d’extrême droite à trouver des mouvements frères, un peu similaires. Ce sont des éléments de mobilisation qui peuvent surgir, mais ça reste marginal et changeant selon l’actualité, estime Louis Audet Gosselin.

Le professeur Yann Brault rappelle que la montée de l’extrême droite est aujourd’hui un phénomène global. On voit en Pologne, en Scandinavie, ici avec notre ”convoi de la liberté”, que c’est un phénomène qui n’est ni ukrainien ni russe. C’est une marque de déception générale de l’Occident quant à la démocratie libérale.



Reference-ici.radio-canada.ca

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