Chronique | Guy Lafleur, la superstar insoumise



Ce sont ces magnifiques paroles de la poétesse américaine Maya Angelou qui résument le mieux l’histoire d’amour que les amateurs de hockey, et plus particulièrement les Québécois, ont vécue avec Guy Lafleur.

Le Démon blond a marqué des milliers de buts au cours de sa vie, dont 560 dans la LNH et 314 dans les rangs juniors. Évidemment, personne ne se souvient précisément de chacune des prouesses de Lafleur auxquels il ou elle a assisté.

Au fil des ans, Lafleur a aussi fait énormément de déclarations controversées sur toutes sortes de sujets. Qu’avait-il dit au juste pour que Ronald Corey le congédie manu militari en 1985? Pour la plupart des partisans de l’équipe, les épisodes du genre ne sont que de vagues réminiscences.

Par contre, au moment où Guy Lafleur nous quitte, la plupart de ceux qui l’ont vu jouer ont encore des souvenirs très précis de ce qu’ils ressentaient lorsqu’ils le voyaient recevoir une passe en zone neutre sur le flanc droit, longer la bande à toute vitesse les cheveux au vent et battre le gardien adverse d’un puissant tir frappé du côté du poteau opposé.

En bonus, pour ceux qui avaient la chance d’assister aux matchs au Forum plutôt qu’à la Soirée du hockey, le magnétisme de Lafleur se transmettait à travers les rugissements de la foule, qui trépignait chaque fois qu’il s’emparait de la rondelle.

Enfin, même s’ils ne se rappellent pas en détails des déclarations que Guy Lafleur, énormément de gens, avec affection, gardent le souvenir d’un homme qui disait ce qu’il pensait et qui ne se rétractait jamais.

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Il y a des héros ou des supervedettes dont la notoriété s’accroît lentement au fil de longues années de dur labeur. Mais Lafleur, lui, semblait être né avec ce rare don d’éblouir les gens.

Au début des années 1960, à 11 ans, alors qu’il était encore d’âge moustique, il remplissait déjà les gradins du Colisée au renommé tournoi pee-wee de Québec. Pendant trois hivers consécutifs, il a été la star incontestée de cet événement.

Et les dimanches après-midi, dans son village de Thurso, les gradins de l’aréna étaient remplis de gens qui se déplaçaient pour le voir jouer.

Dans sa biographie de Lafleur intitulée L’ombre et la lumière, Georges-Hébert Germain écrivait que c’était en raison de la fascination que leur fils suscitait auprès de leurs voisins et concitoyens que Réjean et Pierrette Lafleur s’étaient rendu compte que Guy possédait un talent unique.

Soudeur de métier, le paternel n’assistait pas vraiment aux matchs de Guy avant que des étrangers se mettent à le féliciter et à lui raconter les exploits de son fils.

La notoriété de cet enfant était exceptionnelle.

L’an dernier, quelques semaines avant sa mort, son ancien coéquipier Gilles Lupien me racontait que lorsqu’il grandissait à Brownsburg, pourtant situé à 75 kilomètres de Thurso, il entendait constamment parler de Lafleur. Et qu’il lui était même arrivé plusieurs fois de rêver qu’il allait un jour avoir la chance de jouer au sein de la même équipe que ce phénomène.

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Outre son immense talent de hockeyeur et son style flamboyant, Guy Lafleur fascinait parce qu’il était, en quelque sorte, une superstar imparfaite. Par ailleurs, sa relation avec le Canadien n’avait pas toujours été lisse et son coeur a souvent balancé entre Québec et Montréal.

Lafleur aimait la ville de Québec et les amis qu’il s’était fait là-bas durant ses années chez les As et les Remparts. À Québec, il se sentait chez lui et apprécié.

En 1969, afin d’empêcher Guy Lafleur de quitter le hockey junior québécois au profit de la ligue ontarienne (comme la plupart des espoirs de premier plan de l’époque), Paul Dumont avait rassemblé un groupe d’hommes d’affaires pour lancer les Remparts. Il voulait ainsi rassurer Lafleur sur la qualité de l’environnement qui allait lui être offerte pour peaufiner son talent.

La décision de Lafleur a changé la trajectoire du hockey québécois. L’aventure des Remparts s’est avérée un succès. L’équipe a remporté la Coupe Memorial et la crédibilité de la nouvelle Ligue de hockey junior majeur du Québec s’est grandement appuyée sur ces succès.

Mais quand Lafleur est arrivé à Montréal en 1971, la recrue ne se trouvait pas d’affinités avec sa ville d’adoption. Il profitait donc du moindre temps libre pour retourner à Québec. Et il y retournait parfois très vite si l’on se fie à la légende voulant qu’il soit déjà parvenu à franchir la distance entre les deux villes, de pont à pont, en moins d’une heure.

Il a fallu que plusieurs de ses proches interviennent et lui soulignent l’importance d’apprivoiser Montréal et de s’y sentir heureux s’il voulait finir par y connaître du succès.

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En 1973, quand les dirigeants du Canadien ont appris que les Nordiques de la nouvelle Association mondiale de hockey (AMH) courtisaient le successeur de Béliveau, ils lui ont soumis une offre de contrat de 10 ans. Toutefois, Lafleur a immédiatement regretté d’avoir accepté ce contrat. Il avait senti qu’on avait fait pression pour qu’il signe rapidement une proposition qui ne lui semblait pas plus avantageuse que celle offerte par les Nordiques.

Il était alors représenté par Gerry Patterson, l’ancien agent de Jean Béliveau. Et ce dernier était désormais membre de la direction du CH…

À Montréal, Lafleur a fini par rencontrer la femme de sa vie, Lise Barré, originaire de Québec. Il est aussi devenu membre du jet-set. Il fréquentait des stars comme Gilles Villeneuve et Mireille Mathieu. Et les politiciens voulaient se faire photographier avec lui. Il représentait aussi des marques prestigieuses dans des publicités.

Il s’est hissé jusqu’au sommet du monde du hockey. À compter de 1974 jusqu’au début des années 1980, il a connu six saisons consécutives de 50 buts et plus. Durant cette période, il a amassé 83 points de plus que son plus proche poursuivant, Marcel Dionne des Kings de Los Angeles.

Mais en 1978, cinq ans après la signature de son fameux contrat, un quotidien torontois a publié les salaires des meilleurs joueurs de la LNH et le nom de Lafleur apparaissait aussi loin qu’au 15e rang. Selon le quotidien, Lafleur touchait 180 000 $ alors que des joueurs comme Marcel Dionne et Gilbert Perreault gagnaient quelque 325 000 $.

Imaginez l’insulte ressentie par le meilleur attaquant de la meilleure équipe de l’histoire du hockey!

En novembre 1978, Lafleur a menacé de faire la grève avant un match à Toronto et la direction du Canadien a fini par accepter d’ajuster son contrat.

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C’est après la quatrième Coupe d’affilée, en 1979, que ses relations avec l’organisation du CH se sont davantage corsées.

Plusieurs éléments importants de l’équipe et de l’organisation sont partis, dont Jacques Lemaire, Ken Dryden, Scotty Bowman et Sam Pollock. Et Lafleur ne se gênait pas pour critiquer ses nouveaux entraîneurs, dont Claude Ruel, et la nouvelle direction.

Il ne se gênait pas non plus pour sortir dans les bars. La version officielle a toujours voulu qu’il se soit simplement endormi au volant lors de l’accident de la route qui a failli lui coûter la vie en mars 1981. Son biographe raconte plutôt qu’il venait de passer une soirée bien arrosée au centre-ville, et que des amis avaient vainement tenté de l’empêcher de prendre le volant.

À l’automne 1984, après une saison de 30 buts, Lafleur est constamment cloué au banc par son entraîneur et ex-compagnon de trio, Jacques Lemaire. Il en a assez. Il décide de prendre sa retraite et d’accepter un poste mal défini au deuxième étage du Forum. Mais, dix mois plus tard, il regrette ce coup de tête et, malheureux de son sort, il varlope l’organisation dans une entrevue accordée à Bertrand Raymond.

Le président Ronald Corey le congédie sur-le-champ.

Il faudra ensuite attendre quatre ans avant qu’il n’effectue un spectaculaire retour et qu’il revienne triompher au Forum. Avec un chandail des Rangers sur le dos et Michel Bergeron à ses côtés.

Lafleur a terminé sa carrière avec deux saisons dans l’uniforme des Nordiques de Québec. Pour boucler la boucle, il n’y avait pas de meilleur endroit pour lui. Son avant-dernier match a été disputé au Forum, le 30 mars 1991. Il en a profité pour inscrire son tout dernier but.

On a le sens du spectacle ou on ne l’a pas.

En conférence de presse vendredi après-midi, Geoff Molson était ému en évoquant le souvenir de Guy Lafleur. Et il racontait qu’il avait été important pour lui, lors de l’achat de l’équipe en 2009, de redonner une place à cette légende dans l’organisation du Canadien en lui confiant un rôle d’ambassadeur.

Le propriétaire du CH a fait sourire les journalistes en soulignant que Lafleur ne connaissait aucun cliché et qu’il parlait constamment avec son cœur. Ceux qui ont suivi l’équipe de près savent toutefois que Geoff Molson a lui-même souvent sursauté en lisant des déclarations peu flatteuses que faisait Lafleur au sujet des performances du Canadien!

Durant cette vie extrêmement bien remplie, Guy Lafleur a été un athlète et un personnage plus grand que nature. Il a tout donné à son public. Et il a assumé tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a dit.

Le monde du hockey et le Québec viennent de perdre un monument. Ceux qui ont eu la chance de voir jouer Guy Lafleur ou de le rencontrer n’oublieront jamais ce qu’il leur a fait ressentir.



Reference-ici.radio-canada.ca

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